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écrit M. Delahache, il y avait à Bischwiller 11 500 habitans ; en 1874, il n’y en avait plus que 7 700. Des 96 fabricans d’avant la guerre, il n’en restait plus que 21 ; des 5 000 ouvriers, moins de 2 000 ; des 2 000 métiers, 650. Les expéditions de marchandises fabriquées ne se chiffraient plus que par 400 000 kilogrammes au lieu d’un million, et le total des affaires de la draperie que par 5 à 6 millions de francs au lieu de 18 à 20. »

Les drapiers de Bischwiller émigrèrent à Sedan, à Tourcoing, à Reims, à Vire, surtout à Elbeuf, la vieille ville des bons drapiers normands. Ils y apportèrent des procédés nouveaux et plus modernes et surent d’ailleurs parfaitement s’assimiler, dans ce qu’ils avaient de bon, ceux des fabricans elbeuviens. Les deux traditions se pénétrèrent l’une l’autre, et ce fut pour le plus grand profit industriel et commercial de la « ruche » bourdonnante où l’on avait accueilli les exilés. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires des Alsaciens immigrés est le tiers du chiffre total du commerce d’Elbeuf ; mais il n’en a pas toujours été ainsi, et les débuts ont été parfois difficiles : il en a coûté, dans toutes les acceptions du mot, à tous ces bons Français de ne pas vouloir être Allemands. Aussi, comme tous ceux qui ont dû lutter et réagir pour rester fidèles à eux-mêmes, ont-ils gardé une physionomie distincte et qui tranche sur l’ensemble des habitans d’Elbeuf. Luthériens pour la plupart au milieu d’une population en grande majorité catholique, ils ont conservé leur religion, leur pasteur, et même leur dialecte ; ils se marient, encore maintenant, volontiers entre eux ; rien d’étonnant, dès lors, à ce que le type de la race soit demeuré très reconnaissable. Les Alsaciens qui séjournent à Elbeuf ne s’y trouvent pas dépaysés.

Et pendant ce temps-là, Bischwiller se dépeuplait, s’étiolait, s’appauvrissait. Ceux qui n’avaient pu partir essayaient, tant bien que mal, et au prix de bien des sacrifices et de bien des efforts, de s’adapter aux conditions nouvelles de fabrication et de vente. En vain de nouvelles industries s’y établirent pour combler les vides et utiliser les locaux vacans, — fabriques de jute, de cartouches, de cigares, de chaussures, fonderie, — les ouvriers qui, avant la guerre, gagnaient si largement leur vie, connurent les mauvais jours, les maigres salaires, le chômage ; beaucoup émigrèrent aussi. Il y a maintenant à peine 8 000 habitans a Bischwiller, en dépit d’une garnison d’artillerie et des