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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/149

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n’exprimait ses prévisions et ses craintes que dans l’intimité. En apparence, il restait fidèle à la Russie parce que tel était le désir de l’empereur Guillaume et surtout parce qu’il ne jugeait pas que l’heure fût venue pour lui de jeter le masque. Mais il ne croyait pas à la durée de l’alliance. Il savait que le Tsar lui gardait rancune de ce qui s’était passé au Congrès de Berlin, où la Russie avait été contrainte, à l’instigation de l’Allemagne, de renoncer aux avantages qu’à la suite de ses victoires sur la Turquie, elle s’était assurés par le traité de San Stefano.

C’est donc dans une situation pleine d’obscurité que se dénouait, au mois de mars, la crise qui, depuis le mois de décembre, tenait l’Europe en alarme. Néanmoins, son dénouement, même avec ses aléas, ouvrait au moins pour un temps une période de paix ; en outre, il consacrait la victoire de Bismarck. Le Septennat voté, Bismarck triomphant, le parti militaire renonçant à ses rotomontades, la presse muselée, il semblait qu’on fut entré dans une ère d’apaisement. On va voir que c’était là une illusion et que, si le chancelier ne voulait pas ou ne pouvait pas faire la guerre à la France, il continuerait à en agiter le spectre devant elle, comme s’il s’était donné pour tâche de la terroriser et de troubler sa sécurité par des alertes continuelles. En persévérant dans cette voie, il restait fidèle à lui-même et au système qu’il pratiquait contre nous depuis le traité de Francfort. Jusqu’à sa chute, il ne cessera de se conduire en défiance de nous ; il ne nous sera bienveillant qu’au de la des mers ; partout ailleurs, il s’efforcera de nous diminuer et de nous affaiblir, en nous présentant à l’Europe comme les ennemis de son repos, et même en ne perdant aucune occasion de nous provoquer. En un mot, s’il ne menace plus, il restera malveillant et professera, sincère ou non, « que la disparition de la France comme grande Puissance est le gage de longues années de paix pour l’Europe. » C’est en ces termes que, le 1er octobre 1887, il révèle son état d’âme au ministre Crispi, en le recevant à Friedrichsruhe, où il l’a mandé pour discuter avec lui de l’entrée définitive de l’Italie dans l’alliance austro-allemande. Nous ne saurions donc nous étonner des pièges qu’il va nous tendre encore et qui prouveront que sa haine ne désarme pas.