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flaire partout la trahison, la cherche et la trouve ; elle déniche des espions et, plus d’une fois, quand les armées sont aux prises, démasque des troupes de Prussiens qui ont revêtu l’uniforme belge. « Quelle rage ! » Et cette rage, aidée du mépris, tourne à une sorte d’humeur narquoise, qui résiste bien contre la désolation, qui excite les énergies gaiement batailleuses. M. Grimauty, dans les plus tragiques momens, trouve des mots bizarres, cocasses, charmans. A la bataille de l’Yser, les Belges tirent éperdument, vite et comme pour profiter des minutes suprêmes. La formidable artillerie allemande les accable ; ils ne cessent pas de tirer cependant, de tous leurs fusils : « Nous avons l’air de chasseurs qui tirent sur des lapins, avec des lions dans le dos ! » D’ailleurs, ils font bien de s’entêter, contre tout espoir : l’infanterie française arrive. « Nous la reconnaissions dans l’ombre au martellement nerveux de sa marche. Quand les pioupious nous aperçoivent, ils n’ont qu’une petite phrase courte, qui scande leur marche et qu’ils répètent en défilant devant nous : — Où qu’ils sont, les Boches ? Où qu’ils sont, les Boches ?… » Nos fantassins viennent de Lombaertzyde…« Ah ! les braves petits gars ! s’écrie leur camarade Grimauty ; sortis d’un enfer pour venir dans un autre, et tricoter de ce train-là entre les deux !… »

Lisez enfin La vie de guerre contée par les soldats. M. Charles Foley a recueilli sous ce titre quelques dizaines de lettres écrites de tous les points du front par des maris, des fils, des frères, gens de toute condition naguère et d’une seule condition devant l’ennemi, des héros. Le caractère de chacun d’eux subsiste, et le tempérament de chacun, d’eux ; mais toutes les différences sont groupées en un faisceau de volonté unique : volonté de vaincre et, à cette fin, même abnégation, le sacrifice universellement consenti. L’un de ces épistoliers, un artilleur, blessé, cité à l’ordre du jour, appelle ses prouesses un « petit succès. » Il écrit : « J’ai fait simplement mon devoir. » Sa récompense l’étonne : « et alors, dit-il, ce n’est pas moi seul, c’est toute l’armée qu’il faudrait citer ! » Une telle modestie n’est pas l’usage ancien de la littérature. Cet artilleur nous avertit de ne pas confondre plus longtemps le jeu littéraire avec les vertus auxquelles de beaux livres ont apporté leur témoignage, et qui valent qu’on soit à genoux devant elles, en toute humilité de gratitude.


ANDRE BEAUNIER.