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pays et qui ne s’était pas encore manifestée avec autant de fureur et de rage que dans le discours du chancelier. Tous les voiles y sont déchirés et, si l’Angleterre a pu en douter jusqu’à ces derniers temps, elle sait aujourd’hui que, de tous les pays de l’Europe, elle est le plus directement visé par le déchaînement des appétits teutons. La guerre contre l’Angleterre a été préparée lentement, sournoisement, avec une méthode inflexible et, si elle avait éclaté dans quelques années au lieu de l’avoir fait maintenant, cette préparation aurait été portée si loin que tout aurait été à craindre. La puissance des armes modernes a changé les anciennes conditions de la guerre, et le détroit n’assure plus, pour l’avenir, une protection suffisante à l’Angleterre : elle le sait, elle est avertie. La liberté des mers ne saurait être plus grande qu’elle ne l’a été depuis un siècle en temps de paix : en temps de guerre, il faut demander aux survivans du Lusitania et de l’Arabic ce qu’elle est déjà devenue depuis que l’Allemagne s’en mêle. L’Arabic est ce navire marchand qui, parti de Liverpool pour New-York, où il ne transportait certainement pas des armes de guerre, a été torpillé sans avertissement préalable par un sous-marin allemand. Le désastre a été moins grand que celui du Lusitania, mais les intentions de l’agresseur, de l’assassin, étaient les mêmes, et deux Américains ont péri. C’est jusqu’ici la seule réponse que l’Allemagne ait faite à la dernière note par laquelle M. Wilson lui notifiait qu’il prendrait pour un « acte inamical » toute violation des principes du droit des gens qui coûterait la vie à un citoyen de la libre Amérique. Nous ne parlerons pas davantage de l’incident aujourd’hui : le patient M. Wilson a demandé des explications et on assure au moment où nous écrivons que le comte Bernstorf lui en a donné ou promis d’excellentes. C’est ce qu’il faudra voir de près. En attendant, M. de Bethmann-Hollweg continue le plus sérieusement du monde de présenter l’Allemagne comme le champion de la liberté des grandes et des petites nations. Les grandes nations savent ce qu’il en faut penser, et il semble que les petites commencent à se le demander avec quelque anxiété. Nous recommandons aux neutres la lecture et la méditation du discours de M. de Bethmann-Hollweg.

Les neutres sur lesquels se porte aujourd’hui l’attention principale sont toujours ceux des pays balkaniques : peut-être la déclaration de guerre de l’Italie à la Porte leur apportera-t-elle aussi des sujets de réflexion. Toute son attitude prouve que l’Italie aurait désiré n’avoir qu’un ennemi, l’Autriche-Hongrie, qui détient des terres irrédentes ; on sait avec quelle résolution hardie, ses précautions une fois prises,