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mouvant comme un incendie. Sur sa pourpre sanglante que déchirait le vent, Dixmude, déjà découronnée de sa tour et de ses clochers, déchiquetait sa ligne noire de ville blessée. Alors sifflèrent, invisibles comètes, les obus incendiaires, et, peu d’instans plus tard, la ville brûla.

Dans cette tragique clarté, la nuit fut semblable à l’enfer. On voyait, dans l’immense reflet des flammes qui léchaient la voûte des ténèbres, les lignes minces et obstinées de la pluie. Deux bataillons du 2e chasseurs étant venus remplacer ce qui restait du 12e de ligne, la relève se fit avec difficulté. Les nouveaux arrivés n’eurent pas le temps de dormir. Déjà la lumière du brasier leur avait permis, dès leur arrivée, de disperser de loin une lourde attaque dessinée dans la nuit. Une aube sale et triste où tout reflet s’était éteint, et où la pluie tombait toujours, apporta jusqu’à leurs tranchées, hâtivement renforcées, l’épais piétinement des hommes de boue. Gris dans la lueur grise, ivres, précédés à vingt pas par une atroce haleine collective où se mêlaient des vapeurs fétides d’alcool et d’éther, insensibles au froid et à l’averse qui leur collait au corps des vêtemens transpercés, ils semblaient sortir d’un cauchemar. Une décharge, suivie d’une charge, y fit rentrer ces monstres. Le lieutenant Minsart, de la 3e compagnie du 11e, étant sorti brusquement de sa tranchée avec ses hommes, ceux-ci dissipèrent à coups de baïonnette cette hallucination. Reculant partout, mais poursuivis sur ce point jusqu’au Nord du canal d’Handzaeme, au cabaret des Trois Moineaux, ils laissaient entre nos mains de nombreux prisonniers, tout à coup désenivrés, fondus, et comme évanouis de peur.

Quatre assauts pareils à celui-là coupèrent la journée en sanglans quartiers. Après l’échec de chacun d’eux, l’incendie de la ville montait plus haut. Il n’avait pas atteint la veille le cœur même de Dixmude. Il embrasait aujourd’hui la tour déjà brisée de l’église. Il éclatait en une série d’explosions fantastiques dans l’hôtel de ville où, à l’étage, s’écrasaient aux murs, avec les morceaux de pierre et de verre, des cervelles projetées et des lambeaux de corps déchirés.

Sous la voûte au rez-de-chaussée où reposait, entouré d’un drapeau, le cercueil hâtif du commandant Pouplier, tué la veille, et où venait de descendre le colonel Jacques blessé pour la seconde fois, un aumônier procédait à la levée du corps. Une