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extérieures et les audaces de la générosité internationale, audaces qui n’ont pas tout leur effet, de la gloire et des faiblesses, des théories et qui ne donnent pas tout leur résultat, la question de Pologne, la Crimée, l’Italie, le Mexique, et puis Sadowa. Au tome XIII, le guet-apens des Hohenzollern se dessine. A la fin de ce tome, un « petit nuage » se montre, un petit nuage précurseur de la tempête. Quelques jours plus tard, le ciel sera en feu. Or, quand il publiait les premières pages de l’Empire libéral, Emile Ollivier touchait à sa soixante-dixième année. Depuis la guerre, il différait le moment de sa suprême réclamation, laissant aux esprits de ses compatriotes le loisir de s’apaiser et, qui sait ? prenant son temps pour s’assurer de son calme. Après ce long effort de stoïcisme et de secret, d’opiniâtre et de torturante mémoire, durement confinée, l’historien de son pays et de lui-même, qui s’était mis à la besogne sans précipitation, travailla sans hâte. Si, comme il faut le croire, l’impatience de brûler les étapes le tourmenta, il ne céda point à la tentation de se dépêcher et garda son allure. Tandis qu’il composait, avec un soin qui domptait sa fièvre, ses treize premiers tomes, ajournant l’autre, le principal et décisif, résolu à le bien appuyer sur de solides fondemens, les années passaient, le siècle changeait, le vieillard se demandait s’il vivrait assez pour achever son œuvre, pour la conduire au terme en vue duquel il l’avait entreprise… « Je supplie Sa Majesté la Mort de m’en accorder le temps ; je la suivrai ensuite docilement, sans plainte… » Il eut confiance en Dieu, et en lui-même ; il ne dérangea point les lignes de son plan, n’économisa ni les matériaux ni la peine, bâtit sans relâche, n’écouta rien, n’écouta point les avertissemens de sa fatigue, devint aveugle et dicta ce qu’il ne pouvait plus écrire. Quand il imprima son quatorzième tome, La Guerre, il avait quatre-vingt-quatre ans. Son corps fléchissait ; sa pensée, non.

Je l’ai vu à plusieurs reprises, cette année 1909, où il avait couronné du drapeau qui flotte sur la plus haute pierre l’édifice de sa justification. J’ai passé des heures près de lui, dans sa retraite de La Moutte, non loin de Saint-Tropez, au bord de la Méditerranée. Il était content et inquiet ; il calculait que, pour les trois volumes qui le délivreraient de toute sa tâche, Sa Majesté la Vie avait encore à lui faire cadeau de quelques années : à défaut de quoi, l’essentiel était dit. Au bout de son