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peine pour sa fiancée. Je me demande où certaines gens laissent leur honneur. Il y avait là également un major marié du même régiment que j’aurais volontiers jeté à la porte[1]. »

Les auteurs de mémoires militaires semblent avoir apporté le même soin à se taire sur les innombrables actes de dévastation et de pillage qui signalaient partout le passage de leur armée. La crainte de justifier une réputation trop bien établie leur a imposé à cet égard une consigne de silence dont ils se sont rarement départis, et qui a été observée jusqu’à nos jours. On se rappelle l’accès de pudeur indignée que suscita, dans le public allemand, la lettre d’un général français qui, lors du premier jubilé de la guerre (1895), racontait dans le Figaro comment son château avait été déménagé par des officiers de la Garde. Mais il n’est pas de dénégations qui résistent à l’évidence, ni de secrets qui puissent être gardés par des milliers de personnes. Il suffit de quelques aveux significatifs pour faire tomber les unes et éclater les autres. On n’a pas à chercher longtemps pour en trouver. Kretschmann, passant devant le charmant château de Moncel, près Metz, raconte l’avoir vu « très vandaliquement dévasté » par les soldats, sous prétexte que le propriétaire en était absent[2]. Plus tard il s’écriera, au spectacle de la rapacité croissante de ses compatriotes : « Je vois venir le moment où nous ferons la guerre pour de l’argent, comme de vrais lansquenets ! » Qu’ajouter enfin à l’éloquente description qu’il nous laisse de Sens, visitée avant lui par les Hessois ! « J’ai trouvé la ville incroyablement saccagée par nos frères d’armes. Deux officiers ayant rencontré dans la rue un civil à cheval, le firent descendre de sa monture, dont l’un s’est emparé, tandis que l’autre prenait la selle. Un officier d’état-major voulait faire ouvrir une armoire par son hôte, qui disait n’en pas avoir la clef ; comme celui-ci cherchait à l’empêcher de la forcer, il répondit à ses observations en l’étendant raide mort. De pareilles scènes vous dégoûtent de la guerre. J’ai dû expliquer aux habitans stupéfaits la différence qu’il y avait à cet égard entre Prussiens et Hessois. » La consolation était mince, et la différence minime. Lorsqu’elles parurent dans la première édition de l’ouvrage, ces révélations semblèrent tellement intempestives que l’éditeur se crut obligé, dans la

  1. Kretschmann, p. 296.
  2. Kretschmann, p. 81.