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particulier, ne saurait oublier la loyauté avec laquelle ce parfait gentilhomme aura observé la parole que, dès le 1er août, il avait tenu à porter lui-même et spontanément à notre ambassadeur.

Chose singulière : le successeur de M. de San Giuliano arrivait à la Consulta avec un tempérament, un caractère très différens du sien, mais avec des idées qui passaient pour beaucoup plus arrêtées. « Tripliciste, » M. Sonnino avait la réputation de l’être en prenant la direction des Affaires étrangères. Mais M. Tittoni, ambassadeur d’Italie à Paris, n’avait-il pas été, lui aussi, autrefois, désigné comme un « tripliciste » à toute épreuve ? Le duc d’Avarna, ambassadeur d’Italie à Vienne, n’était-il pas le très bienvenu à la Cour de l’empereur François-Joseph ? M. Bollati n’avait-il pas été salué à son arrivée à Berlin, en novembre 1912, comme un « partisan des traditions de la Triple-Alliance et un sincère ami de l’Allemagne, » ainsi que l’écrivait la Gazette de Francfort ? C’est pourtant cet état-major diplomatique qui a rompu une alliance de trente ans avec les deux Empires germaniques et introduit l’Italie dans la guerre aux côtés de la France, de l’Angleterre et de la Russie.

Pendant la maladie et quelque temps après la mort du marquis de San Giuliano, M. Salandra avait dirigé par intérim les Affaires étrangères. Un instant, on crut qu’il s’en chargerait d’une manière définitive. Quelque tentation qu’il en ait pu avoir, quelques suggestions qui lui eussent été apportées (car déjà l’astre de M. Salandra commençait à grandir), le président du Conseil préféra conserver le portefeuille de l’Intérieur. Au surplus, les événemens mûrissaient. La guerre européenne s’étendait à l’Orient par les provocations que la Jeune-Turquie germanisée multipliait envers la Triple-Entente, et l’Italie se voyait appelée à envisager la sauvegarde de ses intérêts dans cette Méditerranée orientale où elle a tant de projets d’avenir. Une tendance de plus en plus forte se manifestait dans l’opinion publique en faveur d’une préparation de l’Italie à toute éventualité. Au cœur du gouvernement lui-même, des divergences de vues s’accusaient certainement aussi, car, au commencement du mois de novembre 1914, M. Salandra apportait la démission du ministère au Roi. Et celui-ci, après quelques conversations avec les chefs des groupes parlementaires,