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isolement qui la libérait de nos charges, ou à certaines qualités morales très réelles de ses habitans. La Belgique n’avait pas atteint sa richesse d’hier par la seule sagesse laborieuse des Flamands. Félicitons les hommes d’avoir mis à profit les armes qui leur étaient données pour combattre ; mais commençons par regarder sur une carte géologique le passage de ce vaste sillon houiller qui traverse toute l’Europe du pays de Galles au Donetz. Partout où il passe souterrainement, il amène la richesse à la surface comme ces invisibles cours d’eau atteints par les puits artésiens, le long desquels une vaste traînée d’oasis jalonne le désert. C’est le Nord français, le Bassin Belge de Charleroi, Namur et Liège, la région rhénane, la Westphalie et, après une longue interruption, la Silésie. Je dirai bientôt comment, depuis vingt ans, la puissance houillère, déjà énorme, de l’Allemagne, s’est trouvée doublée depuis la Westphalie jusqu’au Rhin. Cherchons dans cet accroissement, bien plus que dans le prestige dû à ses victoires et à son organisation militaire, plus même que dans sa souplesse et son esprit de méthode commercial, le secret de ce prodigieux essor, sous lequel le monde allait succomber écrasé, quand cette loi paléontologique qui a toujours fait disparaître les races arrivées à une taille démesurée, lui a suscité un dernier accès désastreux de mégalomanie morbide. On prouverait aisément par des exemples inverses que si, dans le monde contemporain, les nations latines, autrefois privilégiées, n’occupent pas toute la place à laquelle leur supériorité intellectuelle et une longue antériorité de civilisation leur donnent droit, c’est parce que l’Italie manque totalement de charbon, parce que l’Espagne en est presque dépourvue, parce que la France en a trop peu.

En examinant ce côté unique de problèmes très complexes, je pourrai sembler parfois en exagérer l’importance. Ce n’est pas que je méconnaisse en aucune façon la valeur des facteurs humains, l’initiative, le travail, la science, l’esprit d’organisation, la patience même et l’endurance devant les échecs. L’homme peut beaucoup pour utiliser ou pour laisser perdre les forces de la nature. Le nier contre toute évidence serait décourager bien à tort ceux que la nature a déshérités et dont la volonté n’en est pas moins ferme. Il y sera fait d’ailleurs plus d’une allusion dans les pages qui vont suivre. Mais le soldat le plus brave reste impuissant, s’il n’a un fusil ou un