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pansemens. Nous tâcherons de rester en relation avec sa famille, au cas où, déçu, il voudrait faire autre chose et aurait besoin d’aide. Pour le moment, c’est un entêté, et, Dieu merci, il souffre de sa cécité bien moins que trop d’autres.

5° Un point sur lequel il convient, à notre avis, de revenir et d’insister avec infiniment de délicatesse, c’est que les aveugles ne sont pas du tout des infirmes, qu’ils le seront incomparablement moins que les blessés qui reviendront de la guerre avec des maladies organiques ; qu’ils peuvent vivre heureux comme tout le monde et se marier… Encore une nuance que nous observons toujours : quand nous voulons leur faire connaître un objet, nous le plaçons exactement dans leurs mains en disant : « Voyez, » et non « touchez, » ayant observé que les aveugles emploient presque toujours eux-mêmes le verbe « voir. » Enfin, en tout, par tous les moyens, les rendre à la vie normale, éviter de décrire imparfaitement, avec des gestes qu’ils ne peuvent saisir, par exemple : « C’était grand comme ça, » mais dire, pour qu’ils aient immédiatement une idée juste de ce dont on leur parle : « C’était haut comme une table, large comme les deux mains. » Cela semble puéril, mais, quand on se met à leur place, comme l’on juge autrement, comme l’on veut à tout prix qu’ils ne sentent pas leur grande épreuve par ses petits côtés ! Aussi rien n’est plus à éloigner d’eux que la sympathie banale des imbéciles qui croient qu’on est sourd parce qu’on n’y voit pas et s’adressent aux personnes qui conduisent l’aveugle comme s’il ne pouvait répondre lui-même. »

On ne doit pas attendre que l’aveugle ait consenti à sa cécité pour lui parler de la lecture et de l’écriture Braille, de la machine à écrire, du guide-main Wagner surtout, l’appareil le plus facilement accepté et qui permet à l’aveugle de continuer à faire sa correspondance au crayon ou au stylographe. Après un peu de répugnance, on parvient à faire accepter toutes ces méthodes de travail, soit pour leur curiosité, soit à titre de distraction provisoire. Le premier pas fait, — c’est le seul qui coûte, — leur extrême facilité leur donne l’attrait d’un jeu. En même temps, il faut habituer le nouveau venu dans les ténèbres à tirer parti des ressources qui lui restent. Avec les natures indolentes, c’est là une aride partie du programme : le précepte général est de ne pas agir pour l’aveugle, mais de l’aider à agir. Ne lui apportez pas tel objet qui est dans la chambre et