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Là non plus, rien de trivial ; une belle ordonnance, du sérieux, de la tenue et de la dignité. Pas de grands éclats, aucun tapage et nulle emphase ; avec beaucoup d’ampleur et de plénitude, beaucoup de sobriété. Encore une marche, et fort éloignée aussi d’être vulgaire : marche religieuse, recueillie, où les trompettes jettent çà et là, sans les prodiguer, des touches brillantes. Choral et symphonique, l’ensemble sonore se développe avec ampleur, avec aisance, quelquefois avec de chaudes effusions à l’italienne, à travers des tonalités opulentes et de savoureuses modulations. Le passage de Jeanne est salué d’abord sans cris, sans bruit, par un murmure, plus touchant, d’admiration, de respect et d’amour. Après que l’archevêque a prononcé la formule du sacre, la Pucelle prend la parole et, cette fois encore, cette fois surtout, elle parle comme elle devrait parler toujours. Son hommage à Dieu d’abord, ensuite au prince, est une délicate cantilène, où chaque mot, chaque note respire la simplicité, la modestie et la pureté. La mélodie en est bien conduite. Calme, lente, et je dirais volontiers contemplative, elle suit, au-dessus de pieux et mystiques accords, son cours, ou plutôt son vol paisible et gracieux. De puissantes polyphonies l’avaient précédée ; maintenant elle s’enchaîne avec des concerts nouveaux, et qui n’ont pas moins de grandeur. Un ensemble ainsi composé, soutenu ainsi jusqu’au bout, n’est pas d’un musicien ordinaire. « Œuvre extrêmement noble, d’une élévation peu commune, » nous écrivait M. Tebaldini. De telles pages, les plus belles de la partition, lui donnent pleinement raison. Si l’Allemagne les admirait hier, quel accueil et quelle sympathie aujourd’hui ne doivent-elles pas attendre de la France ! Il est vraiment digne et juste, il est équitable et salutaire, et nous pouvons en être fiers, qu’elles soient dédiées, ces pages éloquentes, vengeresses, à la cathédrale de Reims, à ces pierres désormais deux fois nôtres, deux fois consacrées, par des siècles de gloire et par un an déjà passé de martyre.

Merci donc au musicien d’Italie. Il est regrettable que, pour la mémoire de notre Jeanne, notre musique à nous, moins bien inspirée que notre statuaire, ait fait si peu jusqu’à présent. Ce n’est presque rien, ou rien, que l’opéra de Mermet, et que la partition de Gounod, écrite il y a quelque quarante années sur un drame de Jules Barbier, ou plutôt autour de ce drame, car elle ne se composait que de hors-d’œuvre assez pauvres et ne pénétrait pas au fond du sujet, encore moins au cœur de l’héroïne. Mieux vaut, beaucoup mieux, de Gounod aussi, la messe en l’honneur de Jeanne, exécutée autrefois dans la basilique du sacre : messe a cappella, de style archaïque ou