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pu lire l’annotation de son contradicteur inconnu, il serait sans doute parti d’un grand éclat de rire : renvoyer l’armée ! quel manque de sens politique ! voilà bien la naïveté velche ! — Sainte naïveté, naïveté précieuse, s’il est vrai que c’est elle qui conserve intactes, malgré quelques fanfaronnades de scepticisme, les plus pures vertus de la race ! La conception de l’honneur qui se révèle dans cette note marginale ingénue, est celle qui, au jour du besoin, créera des prodiges de courage et d’abnégation. L’adolescent qui n’a pu lire sans protester l’apologie de la déloyauté par l’historien allemand, mourra, s’il le faut, pour lutter contre la déloyauté allemande.

Grâce à la force et à la ruse combinées, voici enfin établie la domination du peuple supérieur. Quel usage en va-t-il faire ? Beaucoup de penseurs estiment que les usurpations des conquéransse légitiment par le bonheur qui en résulte pour les nations conquises. C’est un des argumens dont on se sert le plus pour justifier l’omnipotence romaine : déjà Cerialis, chez Tacite, fait briller aux yeux des Gaulois tous les biens qu’ils doivent à l’autorité impériale, la paix, l’ordre, la sécurité ; et les panégyristes modernes de l’empire romain en ont surtout exalté l’action civilisatrice. Cette idée n’est évidemment pas étrangère à Mommsen : il rappelle le soulagement que le nouveau régime a procuré aux populations de l’Asie Mineure, si constamment flagellées par leurs anciens monarques ; il félicite Rome d’avoir moins pressuré ses sujets que ne l’avait fait Carthage ; il reconnaît qu’elle les a encore trop exploités, qu’elle leur a fait subir des taxes iniques, que la condition des provinces a été désastreuse sous la République ; il loue César d’avoir amélioré le sort des vaincus. Tout cela laisse supposer qu’il assigne aux États victorieux un rôle de tutelle bienfaisante. — Ce n’est pourtant pas ce côté de leur activité qu’il met le plus en lumière. Le devoir qu’il leur prêche avant tout, c’est le devoir qu’ils ont envers eux-mêmes, celui de faire respecter leur autorité. « La morale et la justice commandent à celui qui tient les rênes, ou de quitter le pouvoir, ou de forcer les sujets à la résignation, en les menaçant de tout l’appareil d’une supériorité écrasante. » Tous les vainqueurs ne comprennent pas cette obligation sacrée, et il fait bon voir comment Mommsen morigène ceux qui s’y dérobent. Pyrrhus a péché en se laissant détourner de se3 desseins par les doléances des Lucaniens et des Samnites : « il faut