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Au même moment, le prince de Hohenlohe, à Strasbourg où il se trouvait alors, faisant allusion dans son journal à l’état lamentable du kronprinz, qui imprimait à la mort de Guillaume Ier un caractère quasi tragique, écrivait : « Nous pourrions bien avoir deux empereurs à enterrer en même temps. »

La crainte que trahissaient ces propos était prématurée : ce n’est qu’à trois mois de là que Frédéric III, fils et successeur de Guillaume Ier, devait le suivre au tombeau. Mais elle hantait tous les esprits et suggérait un peu partout des réflexions et des raisonnemens d’où résultait la preuve qu’au moment de régner, le prince que la mort de son père appelait au trône était considéré comme un obstacle au développement de la grandeur allemande Puisque ses jours étaient comptés et puisque son règne n’aurait pas de durée, n’était-il pas regrettable « qu’il ne se fût pas décidé à mourir plus tôt » ou que, tout au moins, il eût refusé d’abdiquer ? Sa mort précédant celle de son père, la couronne eût passé sur la tête de son fils, le prince Guillaume, dont la jeunesse, l’intelligence, l’ambition non dissimulée promettaient un règne long et heureux.

Toutefois, les pessimistes objectaient qu’à peine âgé de vingt-huit ans, cet héritier était encore bien jeune et bien inexpérimenté pour présider aux destinées de l’Allemagne ; la possibilité de son avènement prématuré engendrait, parmi ceux qui le connaissaient et lui attribuaient plus de défauts que de qualités, les plus vives appréhensions.

A la date du 6 mars, alors que se posait la question de savoir si le successeur de Guillaume Ier s’appellerait Frédéric III ou Guillaume II, le haut fonctionnaire Gneist, l’un des trois conseillers que la sollicitude de l’Empereur avait attachés à la personne de son petit-fils pour l’initier à l’art de gouverner, faisait part à l’ambassadeur de France des difficultés que lui créait, pour l’exécution de sa lâche, l’ignorance de son élève. L’ambassadeur lui ayant dit que, dans le rôle de mentor qui lui était dévolu, il pourrait rendre à la cause de la paix d’éminens services, Gneist répondait :

— C’est vrai, mais le terrain, je dois l’avouer, n’est pas bien propice pour cette semence. Le prince Guillaume manque d’idées générales. On l’a trop tôt spécialisé. En dehors de ses obligations régimentaires, on l’a initié au fonctionnement des