Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/821

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Impératrice et de ne prendre aucune décision sans la consulter, était, de ce chef, critiqué et raillé sous les formes les plus perfides. La campagne de presse se doublait et s’envenimait d’une campagne de salons, dirigée cette fois contre l’honneur de l’épouse. On mettait en doute sa fidélité conjugale ; on allait jusqu’à désigner, comme son favori, le comte Seckendorf, maréchal de la Cour.

Les défenseurs de l’Impératrice, tous ceux dont l’excès de son infortune et cette guerre au couteau n’avaient ébranlé ni la fidélité ni le respect, constataient avec horreur que le chancelier qui, d’un mot, aurait pu couper court à ces infamies, ne faisait rien pour les arrêter, et qu’en feignant de les ignorer, il les laissait courir. Dans une lettre privée, écrite de Berlin à cette époque, à propos de ces incidens, on lit : « Il veut se prémunir contre une prolongation très improbable de l’existence de Frédéric et mater toutes les résistances. Non content d’avoir fait ajourner le mariage Battenberg, il veut un renoncement écrit et signé. Personne n’ose résister à ce despotisme.

A la faveur du prestige dont l’auréole son omnipotence, il promène tour à tour par toute l’Europe des espérances de paix et des craintes de guerre. Au général Billot, venu à Berlin pour représenter la France aux obsèques de Guillaume Ier, à Ferdinand de Lesseps, qui est en ce moment l’hôte de l’ambassadeur de la République et l’objet des flatteuses attentions de la Cour, il tient un langage rassurant. Il dit à Lesseps :

— J’ai toute confiance en votre caractère comme en votre jugement, et nous nous entendrons toujours. Je ne désire que le maintien des bons rapports entre les deux pays. La guerre n’éclate jamais comme un coup de foudre. Elle est toujours précédée de dissentimens graves dont je ne vois pas trace dans le présent, et qui, je l’espère, ne se produiront pas dans l’avenir. En tout cas, nous travaillerons ensemble à les prévenir comme à les éteindre.

Mais, avec le roi Carol de Roumanie, que le désir de rendre hommage à l’Empereur défunt a conduit dans la capitale prussienne, c’est une autre chanson. Il lui parle de la guerre comme d’une chose inévitable :

— De Moltke croit qu’elle aura lieu dans quelques mois ; je ne suis pas de son avis ; mais, dans deux ans, nous n’y échapperons