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Je n’aimais pas le Faubourg, parce qu’il résumait pour moi toutes les laideurs et toutes les brutalités de la vie campagnarde. Les fumiers s’y épanouissaient. Les fientes, les ordures de toute sorte envahissaient la chaussée. Il fallait enjamber, sur des planches branlantes, de véritables gouffres de purin. Les fumiers surtout atteignaient à une importance que je ne leur ai vue nulle part ailleurs. Hauts et talutés comme des forteresses, les valets d’écurie avaient besoin d’une échelle pour y grimper. Au sommet, sous les yeux ronds des coqs rengorgés, les poules stupides et voraces se pouillaient la tête d’un furieux et comique mouvement de patte. Et partout alentour, sans cesse diluée par la pluie, la boue tenace, où les semelles s’engluaient, le fleuve boueux de la Woëvre, qui stagnait dans les rues, pendant la majeure partie de l’année.

Il est certain que nos villages lorrains sont plus malpropres que de raison. Si c’est la faute du climat, c’est aussi celle des habitans. Dans la partie annexée du pays, les Allemands sont arrivés à leur imposer la propreté à coups d’amendes et de procès-verbaux. Mais les fumiers sont particulièrement réfractaires. Aux environs de Metz, à Woippy et à Saulny, j’en ai encore aperçu quelques-uns, qui narguaient les arrêtés préfectoraux. Là, du moins, cette obstination dans les vieux usages pouvait passer pour de la résistance patriotique. A Spincourt, ils étaient sans excuse.

Outre sa malpropreté, le Faubourg avait, à mes yeux, un autre inconvénient : c’était un lieu plein de bêtes, — des bêtes dangereuses et méchantes. Les poulains, lâchés des écuries, vagabondaient dans la rue, et, dès qu’on les approchait, ils bondissaient au galop, en détachant des ruades. Plus directe et plus acharnée était l’agression des oies, qui, sous la conduite du jars, assaillaient les pauvres bambins et leur pinçaient cruellement les mollets. Quand on longeait leurs mares d’eau trouble, instantanément elles jetaient leur cri d’alarme : vingt becs siffleurs se dressaient menaçans, et c’était un long ramage imbécile, on aurait dit automatique, qui, parmi les embuscades sournoises des bêtes et des choses, exprimait pour moi la tristesse morne, l’épaisse et obscure matérialité de tout ce qui m’environnait. Le passage des troupeaux de vaches, taureaux