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d’éminens Berlinois, parmi lesquels Schleiermacher, il fit son entrée dans cette capitale, qui n’était guère alors plus grande qu’une préfecture, avec toutes les apparences romantiques du « cruel ambitieux. »

Berlin était la modeste ville plate et sèche de la Mark et tout le charme qu’elle pouvait avoir, c’est la France qui le lui avait donné à travers les cent cinquante ans pendant lesquels elle avait régné sur les esprits. En dehors du quartier français qui existait encore en entier avec ses constructions aimables et sobres, l’art officiel de Frédéric II s’en était toujours alimenté, tantôt sous l’inspiration directe de nos artistes, tantôt sous celle des intermédiaires italiens ou allemands entre les mains desquels les formes si pures sortaient déformées déjà, mais encore agréables dans leurs lignes capricieuses. Avec le tournant du siècle, ce cachet s’était perdu peu à peu, et on espérait dès lors tout de la Grèce et de Rome à qui on empruntait sans discernement des temples et des palais faits pour le beau ciel méditerranéen. Ces bâtisses élevées avec économie s’attristèrent bientôt sous les brumes et, loin d’infuser un sang plus noble à ces tristes rues, tracées à travers les sables des anciens maraîchers, elles confirmaient l’étranger dans l’impression que ce sol ingrat resterait toujours dénué d’imagination originale.

Parmi ce maigre lot d’antiquité et de France, les soldats et les fonctionnaires défilent sous les péristyles ou bien ils se tiennent raides et compassés à l’ombre des corps de garde, présentent les armes ou les dossiers et fument leurs pipes en attendant que les aigles se déploient et que les tambours roulent administrativement vers le combat.

Tout ce qu’on voyait venait du dehors, jusqu’au sol sur lequel on marchait. Tributaire des choses les plus élémentaires, nécessaires à la vie d’un peuple, on avait apporté l’humus végétal, desséché les marécages, fait venir les pierres, toutes les essences de plantes, arbres, graines, légumes, et on vivait ainsi dans la perpétuelle dépendance du voisin pour tous les besoins matériels d’abord, spirituels ensuite. Les Français de la Révocation de l’Edit de Nantes avaient humanisé ces barbares, instruit ces illettrés dans toutes les sciences et dans leurs arts et métiers, y compris ceux de la guerre, et il n’est pas téméraire de dire que c’est un peu la France militaire qui prêta