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preuves irrécusables de la bonne volonté conciliante, de la modération, de la patience, du désir obstiné de la paix dont les nations alliées ont fait preuve, et, en même temps, de la brutalité inouïe, du cynisme et de la mauvaise foi que les deux Empires complices n’ont cessé de manifester au cours de la crise. Et comme il n’a pas peur des mots, il dispense l’éloge ou le blâme avec la plus savoureuse franchise. Parlant de sir Edouard Grey et des efforts proprement héroïques qu’il a déployés pour conjurer l’issue fatale, il dira : « Ses efforts ont été vains, mais son mérite d’avoir, avec un zèle infatigable, avec prudence et énergie, travaillé au maintien de la paix, restera éternellement dans l’histoire. » « Quels types brillans que ces frères Cambon ! » s’écriera-t-il encore, et il avouera que « la lecture du Livre Jaune est une vraie jouissance pour le gourmet littéraire. » A propos de l’attitude de l’Autriche à l’égard de la Serbie : « Un avocat marron aurait honte de recourir, dans un procès roulant sur une bagatelle, aux finasseries que l’Autriche a trouvées pour motiver son mécontentement de la réponse serbe. » A propos des soi-disant scrupules qu’aurait eus l’Allemagne à agir auprès de son alliée pour la retenir sur la pente qui conduisait à la guerre : « Tout cela n’est que mensonge et tromperie. » Et il n’hésitera point à déclarer que « l’Allemagne est maîtresse en toutes sortes d’hypocrisies. »

Mais c’est surtout en parlant de la Belgique que la verve indignée de cet honnête homme se donne librement carrière. La façon dont, après coup, l’Allemagne essaie de se disculper d’avoir violé la neutralité belge, en déclarant que la Belgique l’avait violée la première, lui parait une monstruosité morale. « La manière, écrit-il, dont l’Allemagne cherche à se défendre me fait penser à celle d’un brigand qui tenterait de s’excuser en alléguant que sa victime était une canaille, et qu’elle avait dérobé le bien dont il l’a dépouillée. » Comme il a voyagé à l’étranger, il sait comment l’on y juge à cet égard le crime de l’Allemagne. « Rien, affirme-t-il, ne nous lavera de ce reproche, et plus nous noircirons après coup notre victime, plus le jugement du monde sera accablant pour nous. » Et il cite, en l’approuvant, le mot sanglant et définitif du poète suisse Cari Spitteler : « Après coup, pour se blanchir, Caïn a noirci Abel. Égorger la victime était bien suffisant. La calomnier ensuite, c’est trop. »