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à cause des haines profondes, des jalousies invétérées, des préventions-irréductibles, enfin des prétentions contraires qui divisent les pays balkaniques. Cependant, une fois, pour un court instant, l’union s’était faite : fallait-il donc désespérer qu’elle se refît jamais ? La Russie, l’Angleterre et la France ont tenté l’impossible et y ont échoué. La politique allemande a été la plus forte : sait-on pourquoi ? C’est qu’au lieu de faire appel à ces sentimens d’union qui n’existent pas dans les âmes balkaniques, elle a fait appel aux sentimens de haine et de jalousie réciproques qui n’y existent que trop, et qui étaient, en Bulgarie surtout, à l’état aigu. Oh ! ce sont des moyens d’action très puissans que ceux dont l’Allemagne a usé. Les conseils soufflés à l’oreille du roi Ferdinand devaient entrer sans obstacle dans son esprit perverti par une ambition effrénée et y faire de grands ravages. Tout compte fait, l’Allemagne devait réussir mieux que nous.

A quoi bon raconter comment les choses se sont passées ? Ce sont d’assez petits détails dont l’histoire ne s’embarrassera guère. Le roi Ferdinand et son premier ministre, M. Radoslavof, ont manqué absolument, dans leurs procédas, d’originalité et d’invention : ils ont servilement copié les Allemands qu’ils regardent comme de grands maîtres et ont fait du mensonge un emploi qui est devenu un peu puéril, depuis qu’il ne trompe plus personne. On n’a pas tardé à s’apercevoir qu’ils ne cherchaient qu’à gagner du temps pour atteindre l’heure d’agir, qui devait sans doute concorder avec l’arrivée des forces austro-aile mandes sur le Danube. Jusque-là, le gouvernement bulgare a amusé le tapis au moyen de ce que Bismarck avait appelé autrefois des négociations dilatoires. Mais la mobilisation de l’armée a déchiré tous les voiles. M. Radoslavof a essayé cependant de s’envelopper encore d’un dernier nuage : il a mis en avant le mot de neutralité armée. Cette neutralité aurait pu être parfaitement correcte ; mais, au point où on en était, qui pouvait y croire ? Tout le monde a compris que la mobilisation était le premier acte de la guerre. Les Alliés ne pouvaient plus prendre au sérieux les explications de M. Radoslavof sans encourir quelque ridicule. Il fallait agir et le faire vite.

On l’a senti en même temps à Paris, à Londres, à Pétrograd et à Rome ; mais, dans la rapidité avec laquelle on a procédé, il est peut-être fâcheux qu’on ne se soit pas mis d’accord tout de suite sur l’attitude et sur le langage commun à adopter. Pendant que, à Pétrograd et à Paris, on rédigeait, pour les adresser à la Bulgarie, des ultimatums catégoriques, sir Edward Grey prononçait à Londres,