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qui se cassait, un cheval qui perdait son fer, ou bien, pendant les années qui suivirent la guerre, alors que la région était encore occupée par l’ennemi, une sentinelle ou un douanier qui réclamait le laissez-passer.

A une faible distance d’Avillers, sur le bord d’une côte dénudée, apparaissait un ramassis de vagues masures : cela s’appelait Domprix. Autant que je me rappelle, ce triste hameau n’avait pas de clocher. C’était quelque chose de si bas, de si quelconque, qui se distinguait si peu de la terre, qu’on le traversait dans une sorte d’éclipse de la mémoire. Et, tout de suite après, au bas de la descente, s’égaillait un autre hameau lamentable, qui se dénommait Bertrameix, — on prononçait Bertramé. Nous y avions des cousins au quarantième degré, les cousins Pochon, gros propriétaires campagnards, faisant valoir eux-mêmes leurs terres, gens avaricieuses et d’une ourserie peu commune. Les convenances exigeaient qu’on s’arrêtât chez eux. Mais quoi ? On était très en retard : on n’arriverait jamais à Briey pour déjeuner ! Alors, on décidait de leur brûler la politesse. Au grand trot, la voiture filait devant leur maison, bâtiment cossu et couvert en ardoises comme les clochers des églises. Cependant le cousin Pochon, appuyé sur une fourche, nous regardait, du seuil de l’écurie. On lui criait :

— Excusez-nous, cousin Pochon ! Nous sommes trop pressés aujourd’hui !… Quand on repassera !

Le conducteur fouettait ses bêtes, tandis que le gros homme en culotte bleue et en manches de chemise nous soulevait fort poliment sa casquette, et criait, lui aussi, avec une jovialité de commande :

— Bonjour, cousin ! Bonjour, cousine !… et la compagnie !

Bientôt, nous arrivions à Landres, où l’on rejoignait la grande route nationale. Au sortir des monotones ondulations de la Woëvre, après cette série de bas-fonds et de côtes médiocres, la vue de la grande route apportait comme un soulagement. Il semblait que, là, on eût plus d’air et plus d’espace. Le Haut-Pays commençait. Au bord de la chaussée, les poteaux indicateurs accusaient des distances imposantes et portaient des noms de localités lointaines : Longuyon, Longwy, Arlon. L’imagination s’exaltait. D’ailleurs Briey, lieu d’enchantemens, était proche.

Aujourd’hui, Landres est devenu la capitale ou tout au