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10 HEVUE DES DEUX MONDE3< dans son rire, et toute sa beauté rayonne de je ne sais quel éclat nouveau, toute sa grâce paraît plus nombreuse, ainsi qu’un rosier qui n’aurait, une saison, jamais eu plus de roses. Elle sort constamment le soir et se plaint que je la néglige, que je ne veux pas l’accompagner : dîners, soirées, théâtres, restaurans, tout l’attire, et elle me conte en rentrant « qu’elle s’est beaucoup, beaucoup amusée. » Certes, elle a toujours été frivole, mais sans tant d’entrain, et surtout sans cette brusque et fervente activité qui, maintenant, l’anime et l’emporte. Autrefois, elle vivait comme une sorte de Belle au Bois, rêveuse et les yeux demi-clos; il semble qu’elle soit réveillée... Y a-t-il un Prince Charmant? Quand je la surprends à son miroir, je ne lui vois plus le même visage; jadis, simplement contente d’être jolie, elle se contemplait sans vanité, avec une demi-mélancolie, et une rési- gnation pleine de douceur. Aujourd’hui, c’est tour à tour avec une angoisse attentive qu’elle se mire, un suppliant effroi ou je ne sais quel triomphe dont la passagère certitude velouté son beau visage d’un rayon- nement plus suave et plus enivrant que celui de la plus fraîche jeunesse. En face d’elle, alors, il me semble que je disparais, que ma jeunesse à moi s’efface dans le temps révolu pour faire place à la sienne; il me semble que c’est elle, Marianne, qui s’avance en riant vers la vie, comme cette hardie et pure Prima- vera de Botticelli ; dans ses doigts, je vois la guirlande des bonheurs futurs mélanger la couleur diverse des pétales, et moi je suis déjà celle-là qui, tenant les mains de ses amies et détournant la tête, veut les entraîner vers le bois proche et profond afin d’y retrouver une ombre. Comme vous avez changé, maman ! Elle me bouscule, elle me secoue tendrement, ainsi qu’une jeune fille qui trouverait sa mère un peu vieille et un peu morose pour ses goûts; elle dit des paroles d’enfant; et elle a des étonnemens délicieux devant sa propre joie; quand elle bâille, elle montre toute sa gorge rose comme un bel animal s’apprêtant à dévorer quelque tentante proie; elle a gardé, de sa fatigue ancienne, des félineries ravissantes, et son corps a l’air de s’étirer dans du soleil. Autour d’elle, tout paraît éclairé par un jour nouveau, par une belle aurore, un peu cruelle. .. Elle m’étonne, me charme, m’inquiète.