Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ambassadeur à Vienne, arrachait successivement des concessions exigées par l’Autriche, prétendant que si Andrassy s’en allait, nous trouverions le Cabinet de Vienne bien moins conciliant. Bref, il fut établi que Batoum pourrait sans inconvénient et même avec avantage être constitué en port franc, et que l’on n’avait guère l’intention, ainsi que faisait semblant de le croire lord Salisbury, de faire de Batoum un second Sébastopol. Les conditions topographiques ne s’y prêtaient d’ailleurs nullement. Aussi fut-il décidé de télégraphier à Berlin que l’Empereur déclarait spontanément avoir l’intention d’ériger Batoum en port franc, essentiellement commercial. C’est ce qui fut inséré dans le traité.

Quant à la Bessarabie, l’affaire était beaucoup plus compliquée. L’avenir de la Bosnie-Herzégovine s’y rattachait, et si, par les arrangemens conclus avec l’Autriche antérieurement à la guerre, l’annexion de ces provinces à l’empire des Habsbourg était consentie en vue de certaines éventualités, maintenant le Cabinet de Vienne se montrait tellement hostile à notre action dans la Péninsule Balkanique et demandait à pouvoir étendre la zone d’occupation au-delà de Mitrovitza et à s’annexer plus tard tous les pays occupés, la décision devenait pour nous extrêmement difficile. Cependant, c’est à ce prix qu’était le consentement de l’Autriche pour la Bessarabie, et son opposition, qui en aurait entraîné sans doute d’autres, pouvait faire échouer toute cette affaire à laquelle l’empereur Alexandre II tenait plus qu’aux autres, car il avait fait vœu, disait-on, de reconstituer l’Empire tel qu’il l’avait reçu de son père, avant les sacrifices faits à Paris en 1856.

L’Empereur répondait donc toujours : « Je verrai, je ne dis pas non, mais je ne puis m’engager d’avance : l’Autriche s’est montrée trop hostile à nous pour que je la paie d’un prix aussi élevé. » Or, Andrassy voulait avoir une promesse formelle, secrète ; autrement, il protestait. La discussion fut longue et pénible, car j’avais l’instruction de Schouvaloff d’obtenir du souverain une réponse précise, qui satisfit Andrassy. Finalement, après que je dus déclarer insuffisantes plusieurs rédactions proposées, voyant le désir de l’Empereur de faire quelques réserves, je suggérais de répondre que Sa Majesté consentait à ce que, plus tard, dans un moment donné (Andrassy ne le précisait pas), les deux provinces et le sandjak de Novi-Bazar fussent