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32 REVUE DES DEUX MONDES., souffrais pas. Non. J’étais calme comme un voyageur harassé qui, roulant dans un gouffre, se dit en touchant enfin le fond, sans penser à ses blessures : Je vais dormir ou mourir, qu’im- porte... et s’abandonne à la destinée. Et j’ai profondément dormi, goûtant déjà le morne et noir apaisement, le repos singulier qui suit les choses accomplies. Mais au matin, hélas I Ahl je ne connaissais pas encore ce réveil aigu comme une lame, tranchant inexorablement le fil qui lie le sommeil à l’oubli, et enfonçant, dans la conscience ranimée, la pointe de la certitude que le jour renouvelle 1 Ce n’est pas gai du tout ce petit réveil-là. Mais je ne vais pas m’attendrir sur mes infortunes. Ce qui est, est; je ne le changerai pas; je m’habituerai à cette souffrance et quand elle ne se méfiera plus, bête apprivoisée, maintenant encore trop redoutable, mais à laquelle je rognerai les ongles, je l’étouf- ferai, je l’étranglerai, je la rejetterai loin de moi. Mais il n’est pas question encore de cela; il faut « régler une situation, » comme on dit en style de notaire. Et la situation est compliquée; car il ne s’agit pas de perdre simplement un homme que j’aime, ce qui n’est déjà pas très agréable, il s’agit de ne pas perdre maman, ma maman à moi, que j’ai toujours tant chérie, que j’aime malgré tout, plus que jamais, autant que toujours. Ahl j’ai beau plaisanter; j’ai beau me raidir; j’ai beau, sortant du bain, me frictionner comme un sauvage avec un gant de crin aussi rude que mon sort, voilà que je m’attendris et que je m’assieds sur le tapis, — heureusement éponge, — et l’inonde de mes larmes... J’ai du chagrin I j’ai du chagrin I j’ai du chagrin 1 Allons! un « pneu » à M. Robert Bourgueil, bien que je doive le voir tout à l’heure. « Cher Robert, il faut que je vous parle fort sérieusement. Ici, vous le savez, c’est absolument impossible; chez vous, je n’ose pas. Voulez-vous, samedi à trois heures et demie, m’attendre à la grille du parc de Saint-Cloud? En cette saison, nous ne risquons pasd’y rencontrer personne et d’y être dérangés. <( Je compte absolument sur vous. « Juliette. »