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l’ignorons. Au début du IIIe siècle, elle est faite. Les premiers noms ethniques de la Germanie apparaissent alors, les Teutons et les Cimbres ; au IIe siècle, celui de la Germanie même. Mais remarquons que les peuples qui l’habitent ne diffèrent pas essentiellement de ceux qui ont conquis la Gaule. Les anciens ont constaté cette identité. Et ce que nous pouvons observer encore, c’est qu’à ce fond primitif le flux de l’histoire a ajouté d’autres sédimens. Dans ce sol piétiné par l’invasion, que d’empreintes se sont confondues ! Les Gaulois et les Belges ont occupé les terres entre le Rhin et la Meuse, bientôt suivis des légions romaines. Des colonies de vétérans se sont établies sur le Neckar et en Bavière. Or, que ces immigrans et les populations se soient unis par des mariages, c’est là un fait que Tacite nous signale. Du IVe au XIIIe siècle, ce sont enfin les grandes poussées de l’Est, des peuples de la steppe, de la mer ou du désert. Slaves de l’Elbe, Wendes ou Obotrites, Normands fixés à l’embouchure des fleuves, Avares, Hongrois, Mongols, la grande houle n’a cessé de déferler sur la plaine. Elle fut refoulée. Mais qu’elle ait passé sans laisser de trace, que ces peuples se soient trouvés en contact sans jamais se pénétrer, nous ne pouvons le croire. Il n’est peut-être que le paysan du Harz, cette forêt hercynienne, épouvante de l’antiquité, qui ait gardé l’effigie originelle. L’idée que le peuple allemand représente une famille à part, autochtone, homogène, n’est qu’une hypothèse qui n’a pu être démontrée.

Cette race, quelle unité la rassemble dans son enfance ? Elle peut avoir sa langue, ses mœurs, quelques traditions communes. Je cherche en vain « cette conscience nationale » que ses historiens lui attribuent. Le nom qui la désigne n’est point celui qu’elle tient d’elle-même : elle l’a reçu de Rome. Ses mythes sont loin de lui assigner tous une origine unique ; plus d’une tribu prétend avoir un dieu pour fondateur. Ces peuples ne gardent pas, comme l’Hellade ou le Latium, le souvenir d’un éponyme ; ce seront surtout les érudits de la Renaissance qui inventeront le culte d’Arminius. Trouverons-nous au moins, parmi eux, comme dans la Gaule, des assemblées et un culte fédératifs, une caste sacerdotale ou un commandement de guerre ? Si quelques chefs, au Ier siècle, pour les soulever contre Rome, invoquent cette parenté de la race, ils ne sont pas entendus. L’histoire ne nous offre au contraire que le spectacle d’une