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avoir de libre originalité dans la fidélité aux traditions et d’initialive novatrice dans un esprit conservateur.

Si cela est, il importe d’entrer dans le détail et dans la suite des faits qui l’établissent. Depuis quelques années, on ne voyait guère en M. Bérenger que l’ennemi des publications obscènes et le criminaliste qui avait fait voter la loi de sursis ; mais la sève qui s’était déployée là montait de racines plus larges et plus profondes : à aucun titre, il n’est permis de négliger son rôle politique.


A l’Assemblée nationale, il ne tarda point à prendre très ouvertement parti pour une solution immédiate du problème gouvernemental. Retrouver exactement le fil auquel il s’attacha dans le labyrinthe des questions du jour serait peut-être un peu téméraire. On sait cependant, à des signes certains, de quoi il fut le plus touché. Il fut touché avant tout de la nécessité d’un pouvoir régulier et qui ne restât pas trop longtemps en suspens., Il fut non moins remué par le prestige de Thiers et jugea très imprudens ceux qui ne se rangeaient point à ses avis. Il se déclara donc sans hésiter pour des mesures qui devaient faire de lui l’un des premiers partisans et des premiers soutiens du régime républicain. Il n’était pourtant entraîné ni par d’anciennes préférences personnelles, ni par des influences familiales. Qu’il me soit permis de dire que peu après 1871, à Dijon, je me trouvai souvent, dans une œuvre mixte, la Société de lecture, en compagnie de son beau-père, M. Détourbet. C’était un homme très intelligent, très considéré, et c’était aussi un conservateur très ardent. Il s’attristait de voir la représentation aller de plus en plus à gauche, et je me souviens que, dans nos petites réunions du comité d’administration, gémissant de plus d’un symptôme, il nous répétait avec vivacité : « Je l’ai assez dit à Bérenger ! Il verra ! il verra ! » Eh bien ! oui, on pouvait prévoir que la République serait vivement sollicitée d’aller trop à gauche, comme en 1815 on pouvait prévoir que la monarchie restaurée serait sollicitée d’aller trop à droite. Dans un cas comme dans l’autre, c’était un risque à courir, quitte à faire tout le possible pour en amortir le péril. La question urgente n’en était pas moins de savoir si, à ce risque, on pouvait se dérober. L’un après l’autre, les deux Bérenger, le fils comme le