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voici quelques jours une missive de forme peu correcte. Nous venions de terminer une journée qui nous avait coûté beaucoup de monde et une position importante, et je ne voyais que deux alternatives : ou bien la reprendre [par] une offensive qui aurait sans nul doute achevé la destruction de mon bataillon, ou bien subir un nouvel effort allemand qui, vu notre état d’affaiblissement et l’ordre de se maintenir coûte que coûte, valait pour votre neveu la bonne croix de bois. Aucune de ces éventualités ne s’est produite ; les Allemands ont manqué de souffle et nous ont laissés nous reformer… »

En quatre lignes, qui pourraient lui servir d’argument, voilà résumé l’épilogue du drame. Mais l’ennemi ne s’est pas résigné du premier coup à cette défaite de ses espoirs. Tous les jours qui vont suivre la prise de Dixmude, et la nuit comme le jour, jusqu’au 14 novembre, le bombardement continuera avec la même intensité, visant exclusivement les chaussées des routes, des canaux et la zone non inondée, au Sud de la ferme Roo-de-Poort et du réservoir à pétrole. L’enseigne de vaisseau H…, le 11, s’amuse à faire le compte des obus qui pleuvent autour de la maison où il déjeune : « 6&#8239 ;000 (calcul effectué) », au prix desquels messieurs les Boches « ont réussi à y arracher deux clous. » Il sait, dit-il, des tapissiers qui travaillent mieux et à meilleur marché. « C’est royalement chic, écrit de son côté, le 13 novembre, un des nouveaux officiers supérieurs de la brigade, le capitaine de frégate Geynet, qui remplace le commandant de Sainte-Marie. On dort, mange, rêve en musique. Depuis mon arrivée, cela ne cesse pas. Mais, Dieu ! quelle dépense de munitions allemandes pour peu de résultat ! C’est le cas de dire : « Beaucoup de bruit pour rien… » — « Le bombardement a duré trois jours[1], écrit le même à la date du 19 novembre. Je n’ai eu que trois tués, mais des blessés… » Tout le monde autour de nous, on le verra plus loin, ne s’en tirait pas à si bon compte.

Cette inefficacité de l’artillerie allemande tenait sans doute aux dispositions que l’amiral avait prises, dès l’évacuation de Dixmude, pour consolider le front de l’Yser. Le petit fleuve, à cet endroit, mesure quelque vingt mètres de large : il est

  1. Trois jours sur Caeskerke, les tranchées de l’Yser (compagnies de Malherbe et Pitous) et les tranchées de l’usine à pétrole (compagnie Ravel) ; trois autres sur Oudecapelle et Saint-Jacques (v. plus loin).