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mesuré ; les circonstances n’étaient pas faciles. Et il avoue des lacunes, des redites ; il nous invite aussi à trouver certaines imperfections « légitimes et nécessaires, » si elles coïncident avec l’inachèvement de la science. Ajoutons que plusieurs chapitres ne sont pas tout à fait dignes de leurs voisins les meilleurs ; un ou deux sont faibles : c’est dommage.

On n’a point essayé de classer les chapitres en vertu de quelque théorie. Je crois qu’il ne le fallait pas. La classification des sciences est une vieille entreprise, qui a tenté Ampère, Auguste Comte : une entreprise des plus séduisantes et des plus dangereuses. Il y a plaisir à mettre de l’ordre dans l’énorme travail de la pensée moderne, à organiser son effort, à distribuer la besogne. Il y a péril à se figurer qu’on a, en quelque sorte, loti l’inconnu. C’est qu’alors on guette le moment où le travail, dans les différens lots, sera terminé, où l’inconnu tout entier sera bâti. Aucune illusion n’est plus pernicieuse ; et jamais elle ne fut moins conforme que de nos jours aux espérances que la science peut donner. A mesure que de nouvelles conquêtes agrandissent le connu, l’inconnu s’étend davantage. Surtout, il apparaît de plus en plus nettement que l’inconnu et le connu ne sont pas séparés par une frontière ou démarcation. Les positivistes accordaient qu’autour du terrain de la science, il y eût l’inconnaissable, un océan, dit Littré, pour lequel nous n’avons ni barques ni voiles. Et ils se cantonnaient dans l’île. Mais l’inconnaissable n’est pas autour de l’île seulement : il pénètre dans l’île, toute pleine des brumes de cet océan. L’inconnaissable et l’inconnu sont au sein même de nos connaissances positives.

Il apparaît de moins en moins évidemment que les sciences particulières soient les diverses provinces d’un empire, le Cosmos ou le Tout ; et que leur achèvement doive réaliser enfin leur réunion ; et que leur réunion doive réaliser la vérité complète. Une classification des sciences est toujours le signe de ces crédulités anciennes et abandonnées. Or, depuis qu’on a renoncé à une telle prétention, des sciences nouvelles tendent à se constituer. Elles n’y parviennent pas toutes bien aisément. Si la sociologie est une science, elle n’a point encore fixé les limites entre lesquelles il lui convient de travailler ; elle travaille de tous les côtés, elle travaille chez les autres et, comme ce garçon que Jules Renard a dessiné, faute d’un bon métier qu’elle ait choisi, elle bricole. La géographie est sortie de son ancien domaine, qui n’était pas large ; elle est dehors et elle a des incidens de frontières avec la géologie, avec la climatologie, avec la biologie. Et