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En bonne règle, la cérémonie aurait dû être célébrée à Fiume, résidence de la fiancée. On apprenait tout à coup qu’elle aurait lieu à Vienne et qu’à cette occasion, Bismarck s’y rendrait ainsi qu’à Dresde et à Munich. Etant donné ses dispositions, il n’était pas douteux qu’au cours de son voyage, il prononcerait des paroles agressives. C’en était assez pour provoquer dans le monde officiel la plus vive agitation. Les amis de l’ex-chancelier s’étaient émus déjà, dès le mois de mai, du projet qu’on lui prêtait ; ils redoutaient que l’Empereur ne se laissât entraîner à quelque mesure contre lui. Sur ce point, ils se trompaient. L’Empereur avait déjà compris que sévir serait une faute, peut-être même un danger. Le prestige que Bismarck exerçait encore sur les masses était trop grand pour qu’on pût le frapper sans s’exposer à accroître sa popularité.

Néanmoins, l’un de ses amis, le banquier Bleichrœder qui, tout en lui restant fidèle, était bien en Cour, partit pour Friedrichsruhe, afin de le dissuader d’aller à Vienne. Il lui montra les périls auxquels il s’exposait en rendant public son ressentiment ; il lui apprit que deux circulaires étaient parties de la chancellerie, l’une en date du 23 mai, envoyée à toutes les ambassades de l’empire, dénonçant la campagne que Bismarck menait dans la presse ; l’autre en date du 5 juin, destinée aux agens diplomatiques de Saxe, de Bavière et d’Autriche et leur prescrivant l’attitude qu’ils devaient observer pendant la visite de l’ex-chancelier dans les villes où ils étaient accrédités. Il leur était ordonné de ne pas le recevoir et d’éviter, dussent-ils s’absenter momentanément, de se rencontrer avec lui. Mais les objurgations de Bleichrœder laisseront insensible le rageur et entêté vieillard : « Mon parti est pris, déclara-t-il. Herbert m’a informé que l’empereur d’Autriche me recevrait et j’entends donner cette satisfaction à ma belle-fille et à ses parens. »

Il se déchaîna ensuite contre Caprivi auquel il imputait sans raison les plus noirs griefs. Bleichrœder emporta la conviction que toutes les démarches, qui auraient pour but de ramener le châtelain de Friedrichsruhe à une notion plus juste de ses intérêts et de ses devoirs, resteraient vaines.

Le 18 juin, Bismarck se mettait en route pour Dresde. Un espion chargé de l’observer annonçait télégraphiquement son départ au ministre de l’Intérieur. Comme le train par lequel il partait devait traverser Berlin et faire une halte de vingt