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et si peu de besogne, commença de ranimer les courages des peuples et les défiances des financiers ; puis de 1905 à 1911, chaque bravacherie du divin Empereur, qui débridait les rires irrespectueux de la foule, fit froncer les bourses des prêteurs, et le coup d’Agadir eut pour corollaire un coup de banque qui faillit faire sauter tout l’édifice impérial : brusquement, l’Allemagne dut rembourser une partie, une faible partie de ses emprunts, et l’on vit sur quel terrain mouvant reposait en réalité cette façade monumentale.

Le coup de pédale vigoureux et pressé, « l’emballage » au tournant du vélodrome est le seul moyen pour le coureur cycliste de garder la corde et même de conserver son équilibre, lequel, d’ailleurs, ne se maintient que par le mouvement et tombe au premier arrêt. Au tournant difficile de 1911, la machine allemande exigea un coup d’emballage, colossal lui aussi… Mais à peine Agadir était-il franchi que les guerres balkaniques en exigeaient un autre, puis un autre encore. Au bout de tous ces tournans, apparaissait la dislocation de l’empire austro-hongrois et la perte pour l’usine allemande de ce client commode, dont la vassalité commerciale était plus complaisante encore que la vassalité diplomatique.

Déjà tous les prêteurs de l’Allemagne commençaient de montrer un peu plus de réserve, et l’épargne française, reprise enfin de confiance patriotique, refusait aux intermédiaires suisses ou autrichiens l’aide que, si généreusement, elle leur avait donnée jusque-là. La victoire impériale avait fait la fortune de l’usine et du comptoir allemands. Les échecs impériaux les mettaient en mauvaise passe. Dès 1911, bien des pessimistes d’outre-Rhin ne voyaient de salut économique que dans un nouveau baptême de gloire militaire. Quelques-uns même disaient à mi-voix que le joueur allemand, après les vingt années de cette partie industrielle et commerciale, n’avait plus qu’un moyen de régler ses différences : sortir son revolver et exiger de l’assistance une rançon qui, d’un seul coup, éteindrait tout le passé, assurerait le présent et même le plus lointain avenir ; dans les poches de la France, que trois semaines de campagne jetteraient bas sans peine, on trouverait une vingtaine, une trentaine de milliards, dix pour solder les frais et les réparations de l’armée, dix pour solder les installations de l’industrie et du commerce, et dix pour mettre la flotte en