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est de s’emparer de toutes les communications de la péninsule balkanique, parallèles ou perpendiculaires aux traits généraux du relief. Le plan d’ensemble n’apparaîtra et même ne sera combiné que peu à peu ; mais il importe d’en relever ici les premiers traits, en ajoutant que le groupe initiateur du Monastir-Salonique est le même qui s’est fait concéder en Asie Mineure le chemin de fer d’Anatolie, autrement dit les industriels et les financiers de la Deutsche Bank. Arrêtée à Monastir, la ligne qui monte de Salonique n’est pas beaucoup plus qu’une voie d’intérêt local ; elle drainera jusqu’à la mer les produits agricoles d’un des bassins les plus fertiles, les plus peuplés de toute la Macédoine, coupé de bosquets et de jardins, cultivé comme nos campagnes de France. En 1900, tout ce territoire est turc encore ; il en est de même de l’Albanie, dont la côte est reliée à Monastir par des sentiers de montagnes. Mais viennent des transformations politiques : qu’un jour l’Albanie soit germanique, ou vassale du germanisme, les sentiers feront bientôt place à une plate-forme dévoie ferrée ; l’ancienne Via Egnatia sera une route moderne allemande.

L’Autriche, dès qu’elle eut reçu l’administration des provinces slaves de la Turquie, Bosnie et Herzégovine, s’efforça de les transformer, moins par l’éducation intellectuelle que par le progrès économique ; le comte Kallay fut le très adroit metteur en scène de cette politique. Cependant que des capitaux allemands s’engageaient dans l’exploitation des forêts bosniaques » le représentant de l’Autriche amadouait les notables, grands propriétaires fonciers ; il ouvrait, pour les artisans des villes, des écoles professionnelles, afin d’attester devant les étrangers de passage le renouveau des industries locales. Mais la lourde domination germaine plantait des casernes, une gare « colossale » parmi les maisons à moucharabiés et les bosquets urbains de Sérajevo ; les chefs de l’armée austro-hongroise dirigeaient la construction de routes, de voies ferrées, qui sont surtout des organes de domination ; l’objet est d’enraciner au milieu de ces Slaves, voisins et proches parens des Serbes, une souveraineté politique qui les isole de leurs frères de race et, si possible, les dresse contre eux : tel est le sens du chemin de fer qui, très habilement sinueux, part des plaines de la Save pour toucher, près de la baie de Cattaro, le littoral adriatique ; le tracé serpente à travers les bassins peuplés, passe à Sérajevo, capitale bosniaque,