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tranchées, est aussi cause de certaines complications. La plupart sont cependant imputables aux armes nouvelles.

Chaque fois qu’apparaît un nouveau moyen de tuer, les bonnes âmes s’attendent à voir la guerre se rendre impossible elle-même par son excès de destruction ; et souvent les techniciens annoncent pour un jour prochain l’élimination des armes anciennes. Mais les fusils s’ajoutent aux sabres et aux lances, les bombes aux boulets, les mitrailleuses aux baïonnettes, les avions aux trains blindés, les sous-marins aux cuirassés, sans que l’homme renonce à aucun des instrumens de mort que la science met successivement en ses mains. C’est miracle que les arcs et les flèches aient passé d’usage. Frondes, catapultes et feux grégeois viennent de renaître sous des formes seulement plus redoutables. Nous n’avons pas moins de cinq succédanés de la cavalerie, si l’on compte à ce titre, avec les troupes cyclistes, celles qui équipent les autos de guerre, les ballons captifs, les dirigeables et les aéroplanes de reconnaissance. L’artillerie de terre s’échelonne depuis la mitrailleuse et le lance-bombes, en passant par le 75 mm., jusqu’au mortier de 420 mm., en douze ou quinze calibres pour chaque armée. Nos types de bateaux vont du chalutier à vapeur, porteur de cinq ou six hommes, au super-dreadnought, qui en renferme plus de mille. A la télégraphie et à la téléphonie traditionnelles s’ajoutent les deux sans fil, etc. On a distingué les différentes spécialités par des insignes de diverses sortes et dernièrement par des brassards : la liste en comprend chez nous une soixantaine de variétés principales : c’est un vrai petit dictionnaire.

Une armée représente donc, outre les hommes, un nombre immense d’objets de mille sortes. Chaque unité complète forme un microcosme. Quelques individus : des mitrailleurs avec leurs pièces, l’armement d’un canon, suffisent à constituer un centre où convergent de grands courans de munitions, d’ordres, d’efforts. L’effectif humain n’est qu’un minime résumé. Entre cent mille soldats du premier Empire et le même chiffre des nôtres, il y a la distance de la diligence au train rapide : les deux forces n’offrent point de proportion.

Et cependant les effectifs se sont accrus au-delà de toute attente. La dernière des grandes guerres, celle de Mandchourie, avait opposé des armées d’environ 150 000 hommes au début, 350 000 à la fin. En 1870, notre armée du Rhin devait réunir