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main d’un Dieu et devant lesquels s’incline l’Histoire émue et étonnée.

Camille Desmoulins a été très dur pour Mirabeau, car il a écrit que tout ce qui s’était fait de mal à l’Assemblée nationale avait été fait par lui, et que la patrie avait plus à en craindre qu’à en espérer.

Celui qui avait excité à la fois tant de haine et tant d’amour, qui avait remué tout un peuple et mérité que ce même peuple suivît en pleurant ses obsèques nationales, fut, comme l’a dit Gœthe, « l’Hercule de la Révolution. » Tout était grand et presque démesuré chez lui. Mais, à côté de défauts et de vices énormes, se trouvaient des qualités puissantes. Mirabeau avait du cœur et estimait les vertus qu’il se sentait incapable de pratiquer. Il reconnaissait devant ses intimes que les erreurs et les fautes de sa jeunesse et de son âge mûr coûtaient bien cher à la patrie et qu’il les expiait cruellement. Malgré ses déportemens et toutes ses faiblesses, il manifesta plus d’une fois des sentimens tendres et respectueux pour sa famille et pour les siens, ainsi qu’un dévouement absolu à ses amis. La vérité, c’est qu’il avait des idées franchement spiritualistes, mais qu’elles sortaient rarement de ce domaine pour pénétrer dans celui de la religion. Lucas de Montigny n’a pas hésité à en faire lui-même la remarque. « Ce n’est pas, ajoute-t-il, que nous admettions comme sa profession de foi à cet égard la théorie désespérante et les blasphèmes horribles qui ont été interpolés ou aggravés (par Manuel) dans deux passages du Recueil de Vincennes (Lettres à Sophie). Nous trouvons au contraire dans cette correspondance ainsi que dans plusieurs lettres inédites, l’expression d’une conviction véritable sur l’immortalité de l’âme. » Et Lucas de Montigny cite le passage suivant comme le corollaire du sermon composé par Mirabeau : « Qu’elle est sublime cette idée, l’immortalité de l’âme ! Sa source n’est pas dans un orgueil risible qui s’essouffle follement à percer un avenir que Dieu a couvert d’un impénétrable voile de ténèbres. Son principe est dans une simplicité de cœur, naïve et tendre. Celui qui, le premier, a deviné, ou plutôt senti, l’immortalité de l’âme, était sans doute une créature souffrante qui ne pouvait supporter la pensée qu’elle ne reverrait jamais ce qui lui avait été cher… Jamais ! perdu pour jamais ! Ces mots, en effet, brisent l’âme. Elle a besoin de les repousser par une conviction qu’elle reçoit sans la chercher et