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Les prétentions d’Hiskia sombrèrent devant un testament de Titus en faveur de son père ; celles du charpentier devant sa mise en liberté et l’abandon de la créance de Rembrandt. Ces mesures pouvaient donc être prises facilement avant la déclaration de son insolvabilité ; mais il fallait d’abord, en mettant tous ses biens sous séquestre, l’empêcher de se libérer en en vendant quelque partie.

Le chirurgien Daniel Francx lui avait prêté 3 000 florins ; son frère le conseiller Isaac Francx lui avait aussi avancé 100 florins ; son autre frère Abraham Francx, le marchand de tableaux de Rembrandt, aurait pu facilement arranger cette affaire en prenant en garantie, dans les collections ou les œuvres du peintre, un petit lot d’une valeur égale, ou supérieure, a ces faibles sommes. Mais Daniel Francx fut enrôlé, avec le Conseiller, parmi les demandeurs de la faillite !

Il y a mieux. Le nouvel Hôtel de Ville d’Amsterdam venait d’être inauguré ; on le décorait alors d’un grand nombre de peintures. Il n’y avait donc qu’à confier à Rembrandt quelques-unes des grandes toiles historiques ou mythologiques, dont le programme singulier était arrêté par le Conseil, et qui furent, pour la plupart, données à ses élèves. Le Conseil ne pouvait méconnaître le génie du peintre, puisque la plupart de ses magistrats avaient défilé devant son pinceau. Ils avaient donc à leur portée un moyen facile de lui venir en aide sans bourse délier, pour la plus grande gloire et le profit de la Ville.

Ses créanciers du Conseil pouvaient ainsi assurer leurs débours qui leur eussent été remboursés directement par la Trésorerie de l’Etat. Mais on attendit la liquidation totale de ses biens pour l’autoriser, seulement en 1660, à transformer cette « Conjuration de Claudius Civilis » esquissée par G. Flinck son élève, dans les derniers mois de sa vie et dont le prix, mis sous séquestre, passa, presque en totalité, à éteindre les vieilles dettes qu’on n’avait pas voulu laisser rembourser par la vente de ses collections.

La coalition n’est donc pas niable. On voit très bien comment s’organisa le traquenard dans lequel Rembrandt devait fatalement tomber et comment les magistrats, sur lesquels il avait le droit de compter, et auxquels il dut confier le détail de ses affaires, l’y jetèrent délibérément, après l’avoir condamné en haut lieu.