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pas jusqu’à l’habile et fin diplomate qu’est le prince de Bülow qui ne se sente un peu gêne pour accorder les traditions du Chancelier de Fer avec son programme d’une politique mondiale. « A l’origine, dit-il, on entendit des voix critiquer ces tendances nouvelles comme une déviation hors des routes sûres de la politique continentale de Bismarck. C’était ne pas comprendre que Bismarck nous avait précisément montré ces voies nouvelles en parcourant les anciennes jusqu’à leur terme… Si, dans nos nouvelles directions de politique mondiale, nous nous écartons de la politique européenne du premier chancelier, il n’en reste pas moins avéré que les entreprises de politique mondiale au XXe siècle sont la suite logique des entreprises de politique continentale qu’il a menées à bien. »

Du vivant même du prince de Bismarck les aspirations de certains groupes vers une politique résolue d’expansion coloniale méthodique s’étaient déjà fait jour sous diverses formes. Henri von Treitschke articulait nettement dès 1892 : « Il est véritablement épouvantable d’entendre comment aujourd’hui l’on parle en haut lieu de ces choses profondément sérieuses. On chante sur le vieil air une chanson nouvelle : Ma patrie doit être plus petite ! c’est simplement le monde à l’envers. Nous devons et voulons prendre part à la domination par la race blanche. Nous avons ici infiniment à apprendre de l’Angleterre, et une certaine presse qui cherche à écarter ces graves sujets par quelque mauvaise plaisanterie montre qu’elle n’a aucun soupçon de la sainteté de notre tâche civilisatrice. C’est un phénomène sain et normal de voir un peuple civilisé prévenir les dangers de la surpopulation par une colonisation de grande envergure, » etc.

À ces nobles déclarations de principes se mêlait, il faut bien le dire, une jalousie croissante pour les initiatives hardies qui étaient en train de constituer à la France un empire colonial au moins équivalent à celui qu’elle avait perdu un siècle plus tôt. La jalousie à l’égard des Français a souvent été un stimulant fort efficace pour les vrais Allemands : elle est le fond même de la haine qu’inspire à un trop grand nombre d’entre eux l’incapacité où ils se sentent de nous égaler dans certains domaines, mais il n’est que juste de constater qu’elle a parfois produit les résultats plus pratiques d’une émulation féconde, en suscitant chez eux des efforts dont ils n’auraient pas eu l’idée