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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/276

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en elle-même, ils ne se soucient guère, au fond. Ils envisagent surtout les idées que représente l’Allemagne. C’est moins le triomphe des armées que celui des idées germaniques qu’ils souhaitent. Même état d’esprit chez un très grand nombre de libéraux. On sent bien que la France, en tant que nation, les intéresse moins que le libéralisme ou l’humanitarisme français, le système d’idées que la France représente dans le monde. Parmi eux, quelques hommes d’âge conservent de l’admiration pour le parlementarisme anglais, qui reste, à leurs yeux, le type classique du gouvernement libéral.

Au nom de cette idéologie, ils condamnent et ils attaquent le césarisme et le militarisme allemands, quelques-uns avec une extrême âpreté et une violence de langage inouïe. J’ai lu, sur ce sujet, des articles de journaux, qui dépassent en virulence tout ce que nous pouvons imprimer chez nous. Mais les mêmes hommes se montrent assez froids à l’égard de la France. C’est entendu, ils se rangent de son côté, ou, plus exactement, du côté, des Alliés, ils accordent au Français qui les interroge quelques phrases de politesse banale. Puis, s’étant mis en règle avec la courtoisie, ils passent incontinent au chapitre de leurs griefs contre nous. Et l’on devine tout de suite que ces griefs sont beaucoup plus vivans, ont des racines beaucoup plus profondes que leur idéologie franco-anglaise.

Que nos amis d’Espagne soient susceptibles à l’excès, eux-mêmes le reconnaissent d’assez bonne grâce. Mais nous ne pouvons pas comprendre jusqu’à quel point va cette susceptibilité. En croyant leur être agréables, il nous arrive, les trois quarts du temps, de les désobliger. Comme chez les prélats espagnols, j’ai constaté la trace de froissemens d’amour-propre chez beaucoup de ces libéraux, qui ne s’en disent pas moins francophiles. La plupart sont des intellectuels, des écrivains, des hommes politiques, de hauts fonctionnaires. À ce titre, ils prennent quelquefois contact avec leurs confrères français : ils n’en gardent pas toujours un souvenir très flatteur. L’un d’eux me contait sa visite à un de nos compatriotes, son collègue, qui est à la tête d’une de nos plus importantes universités méridionales :

— Eh bien ! lui dis-je, comment l’avez-vous trouvé ?

— Oh ! me dit-il, un homme somptueux !

Ce fut tout. Je vis que la correction un peu froide et