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tout fondés à dire que c’est à la pointe de l’acier qu’ils ont fait reculer l’ennemi.

Mais si les soldats n’impriment rien, — ceux du moins que l’âpre bataille n’a point couchés loin de l’action, — en revanche, ils lisent. Ils lisent pour se distraire ou pour s’endormir… selon les auteurs, et en lisant les polémiques qui, comme des relens de l’arrière, arrivent jusqu’à eux, ils risquent d’être parfois meurtris dans leurs plus chères illusions, dans leur idéal quel qu’il soit, dans ce qui leur donne tant d’âme pour se battre et pour endurer. Aussi n’est-ce point sans tristesse que nous avons vu et que nous voyons des doctrinaires tirer argument des événemens quelconques, heureux ou malheureux, de cette guerre, pour le système qui leur est cher, ce qui est légitime, et contre le système opposé, ce qui l’est moins. C’est ainsi que nous avons vu tour à tour proclamer, en des proses bourrées d’argumens comme une bulle de savon l’est d’air, que cette guerre a prouvé la faillite de la religion, de l’athéisme, du principe monarchique et du démocratique, du renanisme, de la théocratie, de l’antimilitarisme, du militarisme. Je me garderai bien de mettre le doigt dans l’engrenage de ces roues dentées qui, deux par deux et en sens inverse les unes des autres, tournent depuis longtemps à vide. C’est le propre des systèmes, qui sont rigides et simplistes, de pouvoir trouver, dans un fait quelconque parce qu’il est souple et nuancé aussi bien que dans son contraire, quelque facette où se réfléchisse brillamment leur lumière monochromatique.

Mais ce qu’on ne saurait laisser passer sans protester, ce sont les attaques perfides dont la guerre actuelle a fourni le prétexte à l’égard de la science qui, elle, n’est pas un système, mais une réalité belle, utile, respectable, et conciliable avec tous les idéals.

Ce n’est point la première fois que l’on proclame la faillite de la science ; mais celle-ci heureusement n’est point comme les murs de Jéricho, et il ne suffit point d’emboucher les trompettes de l’anathème pour la faire tomber. Cette fois-ci le développement pris en Allemagne par les sciences et leur application, tandis que l’état moral de ce pays restait ou plutôt devenait ce que nous le voyons, l’utilisation perfide par nos ennemis de certains procédés barbares empruntés à la chimie, la cruauté avec laquelle ils ont conduit cette guerre et plus encore l’apostille doctorale qu’ont donnée à ces procédés tant de cuistres à diplômes et à lunettes de l’autre côté du Rhin, tout cela a paru fournir, à ceux qui de bonne ou de mauvaise foi détestent la science, des argumens propres à démolir une fois pour toute la « nouvelle idole. » On