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S’il serait puéril de penser que les Germains sont moins bien doués pour les sciences et les arts que les peuples dits latins, en revanche il est incontestable qu’ils sont venus bien plus tard à la civilisation et n’ont contribué à celle-ci que par des apports plus récens et d’abord moins riches. Ce qui le prouve notamment, c’est encore la langue allemande. Tant qu’un peuple ne possède pas une langue bien formée permettant à ses « Génies » de s’exprimer clairement, il ne peut prétendre à une culture supérieure. Or combien tard l’Allemand s’est-il créé une langue, une littérature !

Voltaire déjà l’avait remarqué : « Pétrarque et Boccace fixèrent la langue toscane, qui ne reçut plus d’altération, tandis que tous les autres peuples ont changé leur idiome. Ces arts qui d’ordinaire naissent et périssent ensemble sortaient en Italie de la barbarie, grâce au seul génie des Toscans, avant que le peu de science resté à Constantinople refluât en Italie, à la chute de cette ville. »

C’est au XVIe siècle seulement que les sciences et les arts répandus en France gagnaient par elle et grâce à elle la barbare Allemagne. Au XVIIIe siècle encore, la science allemande était si pauvre que Frédéric le Grand, qui n’était pas le plus sot des Hohenzollern, était obligé de venir recruter en France l’état-major de l’Académie des sciences qu’il fondait à Berlin et de la faire présider par le Français Maupertuis. On sait d’ailleurs que les relations de celui-ci avec Voltaire, qui régnait alors sur les lettres de la Prusse, — l’usage de l’allemand étant réservé par Frédéric à ses conversations avec son cheval, — ne ressemblèrent pas beaucoup à l’union sacrée ; ce qui prouve que les Français même les plus intelligens ont toujours eu les mêmes défauts.

Quoi qu’il en soit, il n’y a guère plus d’un siècle et demi, — ce qui est peu dans l’histoire d’un peuple, surtout d’un peuple élu par la divinité, — l’Allemagne était fort loin de se prévaloir à notre égard d’une supériorité de culture, et trop heureuse de monter en croupe du Pégase français. Il en est de même dans presque tous les autres ordres d’idées concernant les œuvres de l’esprit, c’est-à-dire dans ceux qui caractérisent la « culture. » On ne peut qu’approuver M. Bergson qui fait dériver toute la philosophie moderne de Descartes. Les systèmes de Leibnitz, de Spinoza, de Malebranche, de Locke et jusqu’à l’idéalisme allemand du bon vieux temps, sont sortis du cartésianisme. Il en est de même pour le grand dada tant chevauché de la science allemande, la philologie : dès le XVIe siècle et pendant des siècles, l’école française produit des maîtres dont l’autorité se maintient encore aujourd’hui, et qui ont été copiés, mais non dépassés