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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/53

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L’ALSACE À VOL D’OISEAU.

de midi fait taire le gazouillis des oiseaux, et que les abeilles, ivres de lumière et de parfums, se plongent avec frénésie dans le calice des fleurs, c’est la note soutenue et langoureuse des violons qui règne sous les bois. On dirait alors que Rosmertha, la déesse de la vie et de l’amour, s’étire et se réveille dans son berceau, sous les baisers ardens de Bélen, Dieu du soleil. Mais que, par un beau soir d’été, où glisse une brise subtile, nous montions vers les hautes sapinières, et nous surprendrons, dans leurs fines aiguilles, des soupirs d’âmes et des voix séraphiques comme celles des harpes éoliennes, venues des lointains inaccessibles.

Ainsi les voix primordiales de la terre et du ciel tissent leurs concerts dans les forêts des Vosges. Aux diverses saisons, ou même en un seul jour, aux divers étages de la montagne, on peut se donner la sensation de l’échelle des Dieux par lesquels l’humanité essaye de s’immerger dans l’Au-delà qui nous enveloppe. La lumière et le jour ne sont-ils pas eux-mêmes des messagers de l’Invisible qui jouent sur les cordes de nos âmes ? On se sent devenir païen dans les profondeurs bourdonnantes et chaudes ; de la forêt ; on redevient chrétien dans ses hauteurs austères ; on s’éthérise vers les cimes.

Je remémorais en moi ces impressions multiples, en marchant, sous le clair soleil matinal, sur le sentier feutré d’aiguilles de sapin, d’où s’échappait l’encens voluptueux de la résine. En même temps je pensais : « Ah ! que l’humanité dépoétisée et matérialisée d’aujourd’hui est loin des sources éternelles où l’âme s’abreuve ! » Je me promettais de m’arrêter un instant sur l’unique banc de bois qu’on rencontre sur ce chemin et d’où l’on jouit d’une vue pittoresque, en retour, sur le château de Landsberg, à travers une éclaircie de la forêt. À mon grand déplaisir, je vis le banc occupé ; mais bientôt je poussai un cri de joie en m’apercevant que l’hôte de ma chère solitude était un ami, le docteur Pierre Bucher, de Strasbourg. Il tenait en main un carnet, dans lequel il écrivait avec une attention profonde. Comme il ne m’avait pas vu venir, j’eus la joie de le surprendre dans sa méditation.

— Vous ici ? m’écriai-je. Quelle chance et quel bonheur de vous rencontrer !

Il se leva avec une exclamation et me serra gaiement la main. Je repris :