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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/65

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L’ALSACE À VOL D’OISEAU.

mécanisés, ils ont l’air d’inspecter les passans comme des sergens recruteurs. Ils sont tous aussi laids que la lourde Victoire, qui, au bout de l’allée, écrase son piédestal de sa masse dorée.

« La marque de Berlin est, d’un côté, un étalage de richesse sans goût, de l’autre un militarisme insolent et dominateur. Partout, à l’Université comme ailleurs, vous sentirez la griffe de l’État, machine à fabriquer des instrumens dociles sur le patron du soldat prussien. Si vous songez que cet esprit a pénétré, par les professeurs pangermanistes, dans les universités et jusque dans les moindres écoles de toute l’Allemagne, que toute sa science et toute son énergie sont au service de l’art militaire et de la conquête du monde, vous avouerez que jamais nation, sauf peut-être Carthage, n’a présenté un exemple plus complet de matérialisme pratique. Je ne sais quel était, il y a cent ans, l’aspect de cette ville qui s’intitulait alors « l’Athènes de la Sprée » et qui s’enorgueillissait d’être la ville la plus spirituelle d’Allemagne. Mais, aujourd’hui certainement, la physionomie de Berlin, qui révèle son âme, de Berlin symbole et quintessence de la Prusse, présente une image effrayante de l’écrasement de l’Esprit par la Matière. État-Moloch, laminoir d’hommes, fabricant de consciences passives.

« Est-il besoin de formuler un parallèle entre Berlin et Paris ? Le contraste est si violent qu’il crève les yeux. Paris, ville d’enthousiasme et d’expansion, se perd dans l’idée jusqu’à s’oublier lui-même. Berlin, vampire dévorant, rêve d’absorber le monde pour s’arrondir et repeupler l’univers de sa progéniture. Involontairement, on se dit : « Ceci tuera cela. » Il s’agit de savoir lequel des deux. Nous autres Gréco-Latins, et, tout Alsacien que je suis, je me flatte d’en être par mon éducation, nous avons la naïveté de croire, malgré tout, à la victoire de l’Idée.

« Vous devinez avec quel soulagement je revins de la capitale prussienne dans notre vieille Alsace. Villes et villages, mœurs et sentimens, tout m’y parut intime et familier, d’une fraîcheur accueillante et tonique. J’achevai mes études à l’université de Strasbourg, et, comme j’étais un cycliste passionné, je résolus de parcourir le pays en tout sens pour me pénétrer de sa physionomie et de son âme. Mon ambition était d’en trouver le secret et la formule. Étudiant l’art rustique alsacien,