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par sa nature même, échappe le plus à toute réglementation, à toute norme, à toute administration, c’est-à-dire à toute prévision, puisque administrer… ou du moins bien administrer, — ce qui n’est pas toujours tout à fait la même chose, — c’est prévoir. L’esprit d’invention est une fleur sporadique qui pousse à l’improviste sur les terrains les plus variés, dans les terres grasses où la culture a déposé ses engrais universitaires aussi bien que sur les landes désertes des cerveaux dont le génie n’a point connu les savantes irrigations professorales. Cette fleur sublime et indomptable est rebelle à toute acclimatation forcée dans les serres chaudes des institutions d’État. Elle y florira d’aventure aussi bien qu’ailleurs, certes, mais sans que le milieu y soit pour rien.

Une organisation relative aux inventions ne pouvait donc pas prétendre à les créer, à les faire jaillir au commandement, — rien n’est moins obéissant que le génie, — mais seulement à les utiliser, à les ordonner, à les adapter aux circonstances, à les dégager du réseau barbelé des formalités administratives où se déchirent parfois leurs ailes délicates, à les défendre contre la routine, la bêtise, l’envie, le plagiat, en un mot à les traduire de concepts en faits. Tel est le rôle qu’a assumé M. Painlevé, et qui est destiné à nous donner, nous a donné déjà entre ses mains quelques-uns des instrumens les plus essentiels de la victoire. Ce que nous avons sous les yeux, ce qui se passe chez nos ennemis prouve précisément que ce qui importe avant tout dans une invention, c’est sa réalisation, son application, sa généralisation. Pour prendre un exemple, on savait depuis longtemps que certains gaz sont toxiques, on connaissait leur composition, on savait les préparer dans les laboratoires. De ce fait qui était du domaine public et universel, les Allemands ont su momentanément tirer un avantage unilatéral, parce qu’ils ont mis au point, généralisé, militarisé, adapté aux circonstances tactiques, l’emploi de ces gaz connus de longue date. Si belle, si neuve, si géniale que soit une idée, elle n’est rien pour la patrie, si elle ne se traduit par les faits. Elle n’est rien qu’un reflet inutile et caché, si l’acte, si la réalisation ne la projette pas de son arc vibrant au cœur même des choses agissantes et vivantes.

Tout ce qui pense en France est reconnaissant au chef du gouvernement d’avoir, oublieux des querelles mesquines de naguère, et le champ visuel tourné seulement vers l’avenir, choisi pour éclairer cette voie nouvelle un des phares les plus purs de la science française, d’avoir appelé à lui cette personnalité si jeune, si droite, si vivante