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politique qui sortit des traités de 1815 est tout entier dirigé contre la France.

Est-il dirigé contre la civilisation française ? Au premier abord, cela n’apparaît pas. Les diplomates du Congrès de Vienne croient de bonne foi avoir rétabli l’Ancien Régime, et ils ne voient pas d’inconvéniens à ce que la France y reprenne son rang. Ne fait-elle pas pénitence d’ailleurs ? Dans son horreur pour la Révolution, la France de la Restauration ne renie-t-elle pas tout l’esprit du XVIIIe siècle ? Ne semble-t-elle pas s’être mise à l’école de l’Allemagne féodale ? Le premier romantisme français n’est-il pas si profondément imprégné de germanisme médiéval qu’il va jusqu’à méconnaître la tradition classique tout entière ? La France de la Restauration, et même la France de 1830, ne donne-t-elle pas à l’Europe conservatrice toutes les garanties imaginables ? Pourquoi l’Europe se fût-elle refusée à accepter le prestige de ces mœurs et de cette culture dont elle continuait à aimer l’urbanité supérieure et l’élégance traditionnelle ? Mais il y avait là une équivoque : la France moderne ne pouvait rien oublier de son passé, pas plus la Révolution que l’Ancien Régime, et si les peuples, dans leur évolution démocratique, devaient continuer de tourner les yeux vers elle, les gouvernemens et les princes ne devaient jamais cesser de redouter son humeur inquiète. Tous ces étrangers ne voulaient voir dans la France qu’une certaine France dont ils s’étaient fait une image plus ou moins illusoire, et, de toutes façons, elle avait cessé d’être à leurs yeux ce parfait, cet unique système civilisé qui, à l’époque classique, avait assuré sa domination universelle sur les âmes.

Or, tandis que ce changement s’opérait dans les esprits, le germanisme, longtemps engourdi, se constituait à son tour en une civilisation unitaire dont l’ambition vient de s’étaler au grand jour.


Si l’on rencontrait avant la guerre des Allemands qui niaient, peut-être de bonne foi, les ambitions du pangermanisme, on en voyait beaucoup aussi qui tentaient de le justifier par la philosophie de l’histoire, cette agréable science conjecturale où l’on peut puiser des argumens pour toutes les thèses