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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/837

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vers Pâques, en 1538, ses compagnons crurent voir son cadavre.

À ce moment, la Compagnie naissante eut à subir un grave assaut. L’apparition sur la scène de Rome de ce petit groupe d’hommes, qui osaient s’approprier un nom donné par saint Paul à l’Eglise tout entière, avait indisposé les autres Ordres et soulevé bien des animosités, que ne calmèrent ni leur zèle pour les œuvres de miséricorde, ni la vogue de leurs catéchismes et de leurs prédications. On travailla à les discréditer. On ramassa toutes les calomnies qui avaient traîné dans les villes où ils avaient passé. On en expédia d’Alcala et de Paris ; il en arriva même de Bologne, où les mœurs de François étaient visées, comme si un confesseur était responsable des folies d’une de ses nombreuses pénitentes. En réalité, on n’en voulait qu’à Ignace, car cet homme avait le don de susciter des oppositions farouches. C’était l’anéantissement de tout ce qu’il méditait, de tout ce qu’il avait déjà fait, si, en l’absence du Pape, qui était alors à Nice, il ne portait l’affaire devant le Légat et le gouverneur de Rome et s’il n’obtenait, à sa décharge, une sentence solennelle. Il l’obtint aussi éclatante qu’il pouvait la désirer ; mais il se garda bien d’abuser de sa victoire et de poursuivre ses accusateurs au-delà de leur simple confusion. Cet orage, en purifiant l’air autour de lui, le rapprocha de son but. Entre autres griefs, on lui avait amèrement reproché sa prétention de fonder un Ordre nouveau. On en avait assez, des Ordres, ou, pour mieux dire, on en avait trop. Une commission, instituée par le Pape, avait récemment dénoncé le relâchement scandaleux d’un grand nombre de couvens d’hommes et concluait à leur extinction. Mais précisément le lustre de la persécution encourageait la jeune Compagnie à briguer une reconnaissance officielle, où l’opinion publique ne verrait qu’une consécration de la justice qui lui avait été rendue. Ignace et ses compagnons délibérèrent longuement, et, pour que leur travail d’apostolat n’eût point à en pâtir, ils prirent les heures de délibérations sur le temps de leur sommeil. Ils étaient alors installés au pied de l’Ara Cœli, près de la tour del Melangolo, dans une maison qu’on disait hantée. Agréable détail pour ceux qui les ont toujours soupçonnés de sombres maléfices ! Pendant trois mois, chaque nuit, ils étudièrent et discutèrent les articles dont se composa la première ébauche des Constitutions, qu’ils mirent presque dix ans à élaborer. Ils avaient l’ambition de fonder dans Rome une