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totales, cultivées respectivement en chacun de ces produits, et qui sont fort inégales pour les deux pays. Par exemple, la France a à peu près 6 millions et demi d’hectares cultivés en blé, l’Allemagne, moins de 2 millions. Au contraire, tandis que la France n’a que 1 million et demi d’hectares de pommes de terre, l’Allemagne en a plus du double. Mais ces superficies totales, qui n’ont guère varié depuis longtemps, importent peu pour notre discussion.

Quelles sont les causes de notre infériorité ? Est-ce le morcellement de la propriété en France ? Mais elle n’y est pas plus morcelée qu’en Danemark, en Belgique, en Suisse où le rendement est meilleur ; elle y est plus morcelée qu’en Russie où le rendement est moins bon.

Est-ce faute d’une main-d’œuvre rurale suffisante, est-ce, comme on dit dans la rhétorique des comices agricoles (exception faite pour le sous-préfet d’Alphonse Daudet qui, même aux champs, était un lettré), est-ce parce que « l’agriculture manque de bras ? » C’est là l’excuse traditionnelle. Il est vrai malheureusement que les ouvriers agricoles, désertent de plus en plus les campagnes pour la ville dont les bistros, les cinémas, le clinquant et le bruit, et aussi les salaires supérieurs, ont trouvé pour leurs âmes simples plus de charmes que les paisibles douceurs bucoliques. Mais si on regarde la chose de près, on voit que pour cultiver une superficie de terres labourables à peu près égale à celle de la France, l’Allemagne emploie un nombre d’hommes au plus égal à celui dont nous disposons. Si la main-d’œuvre est insuffisante, elle l’est donc autant en Allemagne qu’en France. D’où provient donc, en fin de compte, la différence de rendement qu’illustrent douloureusement les tableaux précédens ? Uniquement de ce que les méthodes de culture sont chez nous surannées, beaucoup moins modernes que les méthodes employées ailleurs.

Si dans la plupart des pays civilisés la crise réelle de la main- d’œuvre agricole a été surmontée, si dans ces pays les rendemens ont néanmoins progressé, c’est que l’on a su augmenter le rendement de la main-d’œuvre elle-même en perfectionnant l’outillage. Aux attelages de chevaux et de bœufs qui, depuis les temps bibliques, tirent avec la même poétique lenteur les charrues immuables à travers les siècles, on a substitué les machines faisant plus vite et plus complètement le même travail et traînant des charrues appropriées. A la culture virgilienne des temps passés on a substitué la motoculture. Si la silhouette des labours en a perdu un peu de son harmonie pittoresque, si une Rosa Bonheur en eût brisé peut-être ses pinceaux, en revanche la motoculture a été ailleurs et doit être chez nous un bienfait