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Comment est-il fait, et de quelle caste ? Y a-t-il des païens en Europe ? Y a-t-il des hommes noirs ? « Quand on leur répond que non, écrivait le Père Garnier en 4839, ils se mettent la main devant la bouche, se regardent et rient d’étonnement. » François était harcelé. Puis il y avait les malades. On venait le chercher. Chez les Hindous, dès que la mort approchait, on apportait au moribond, pour le purifier, de l’eau lustrale et de la bouse de vache, et l’on récitait sur lui la formule du prêtre ou gourou. Il fallait substituer à cette purification matérielle celle dont la source est en nous-mêmes. Il accourait, le cœur compatissant, avec son crucifix et son rosaire. Une douceur inconnue pénétrait sous ces toits de chaume. Les malades renaissaient. Aussi nul ne s’alitait qu’il ne voulût avoir le Père près de sa natte. Et François n’en pouvait plus. Heureusement il avait toujours une escorte d’enfans. Là où la nubilité est si précoce, l’intelligence devance les années. Je ne crois pas qu’il y ait nulle part d’enfans plus intelligens que dans ces pays d’Orient où le nombre des hommes imbéciles est plus grand qu’ailleurs. François chérissait les petits propagateurs de la foi chrétienne, si ardens à renverser les idoles : ils étaient le monde de demain, l’Inde nouvelle illuminée par le Christ. Il remettait à ces jeunes « centurions » son crucifix et son rosaire et les envoyait près de ceux qui souffraient, si bien que ce rosaire et ce crucifix, on ne les voyait presque jamais suspendus à son cou, tant ils voyageaient de cabane en cabane. Et il prenait garde de ne point éveiller les susceptibilités jalouses. On s’enviait l’honneur de le recevoir ; et toutes les rivalités, qui déchirent les hommes et leur obscurcissent la vérité, jouaient leur rôle dans ces villages comme sur les grands théâtres du monde. Enfin, il y avait les morts à ensevelir.

En a-t-il ressuscité ? Sa route d’apôtre a-t-elle été jalonnée de miracles ? Les témoins du procès en canonisation en ont affirmé beaucoup. Nous n’avons point le droit de mettre leur sincérité en doute ; nous ne sommes pas non plus d’humeur à chercher des explications naturelles aux faits qui leur parurent surnaturels. C’est un jeu trop facile. Quand on nous rapporte, par exemple, qu’une prière et un attouchement de lui guérirent des gens de la morsure d’un cobra, nous pourrons toujours nous demander si le serpent n’avait pas mordu une autre victime depuis trop peu de temps pour que le poison se fût