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réduise à la sécheresse, à la pauvreté de maigres et fastidieuses conversations. Guillaume, il est vrai, ne s’interdit point ici les discours, ou du moins les apostrophes. Entre deux périodes chorales, il les jette çà et là, toujours brèves, mais toujours vives et fortes, éloquentes toujours. Pour la foule qui l’écoute, il est, dirait d’Annunzio, l’animatore, ou mieux, comme dit le Livre de la Sagesse, le dominator virtutum. Dans un Conciones lyrique, il n’y a pas une de ses phrases, pas un de ses accens qui ne mériterait de figurer. On pourrait suivre, analyser mesure par mesure, la magnifique harangue qui débute ainsi : « L’avalanche, roulant du haut de nos montagnes. » Exorde ex abrupto, s’il en fut. Et la voix, qui roule d’abord elle- même, comme elle frappe ensuite, comme elle appuie, comme elle enfonce et les mots et les sons !


Amis, contre ce joug infâme
En vain l’humanité réclame...


Une seule note ici, martelée, implacable, tient, retient l’auditoire, fixant, pour ainsi dire de force, et les yeux et les âmes de ce peuple asservi, sur la misère et la honte de la servitude.


Nos oppresseurs sont triomphans :
Un esclave n’a pas de femme,
Un esclave n’a pas d’enfans !


De quel mépris, de quel dégoût et de quelle horreur peuvent être chargées deux notes, oui, rien que deux notes, proférées par le seul Guillaume et reprises aussitôt par les conjurés, tout d’une voix, dans un lugubre unisson ! Lacordaire a parlé quelque part du glaive froid du sublime. De tels passages sont de ceux où ce glaive nous atteint, où il nous blesse, et d’une blessure que nous sentons aujourd’hui, nous, Français, profonde, saignante et sacrée.

D’un bout à l’autre de l’admirable scène, les chœurs sont dignes du coryphée. Sans se ressembler, presque sans s’interrompre, ils se suivent. Ils diffèrent, sans se contrarier, jusqu’à l’héroïque, éblouissante péroraison qui vient, en les surpassant tous, les couronner de lumière et de flamme.

Enfin, en chacun d’eux, et l’on ne saurait trop insister sur cette alliance, le sentiment ou l’influence du paysage se mêle, se fond, au point de n’en être pas séparable, avec l’amour du pays. Autant qu’elle en exprime l’âme, cette musique reflète, en quelque sorte, le visage même de la patrie. Nous l’avons dit naguère et l’on nous permettra