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créée qu’au milieu d’une très vive opposition, qui s’est répétée toutes les fois que cette armée s’est développée, car elle était toujours regardée avec une méfiance extrême, comme pouvant devenir un instrument de despotisme, et l’on a entendu déjà, au XVIIIe siècle, les phrases qui, depuis deux ans, ont été si souvent sur les lèvres des pacifistes, à savoir qu’une armée destinée à opérer sur le continent était inutile et que la flotte seule suffisait à protéger le sol contre une invasion. Et puis, si, par hasard, la flotte échouait dans sa mission, n’y avait-il pas les volontaires ? En effet, il s’en présenta cent mille au moment où Napoléon préparait son expédition à Boulogne. Le péril passé, cette armée se dissipa aussi rapidement qu’elle s’était formée. Il n’en fut pas de même, en 1860, lorsque l’Angleterre se crut menacée d’une invasion française, au moment même où la France, après s’être unie à elle dans une guerre commune, venait de signer. un traité où nos intérêts, — on l’admet généralement aujourd’hui, — étaient subordonnés, sinon sacrifiés, à ceux de la Grande-Bretagne.

Pourquoi le mouvement, engendré par cette panique absurde, a-t-il pu se perpétuer pendant trente-cinq ans ? Ne serait-ce pas, précisément, parce qu’une armée de volontaires répondait aux besoins militaires de l’Angleterre d’hier et d’avant-hier, de l’Angleterre de Cobden, de John Bright et de Gladstone ? L’Anglais a tout ce qu’il faut pour faire un excellent soldat ; mais la caserne l’ennuie, la discipline lui semble pénible et quelque peu humiliante ; de plus, il n’est pas disposé à accepter en temps de paix les privations, les fatigues et le manque de confort qui accompagnent nécessairement la vie en campagne.

Lorsque j’habitais Londres, je demeurais en face du dépôt d’un de ces bataillons londoniens, et j’aimais à les voir défiler lorsque, après leur promenade du samedi soir, ils ramenaient le drapeau au quartier. Ils avaient une brillante allure ; ils étaient, comme on dit, very smart, c’est-à-dire élégans jusqu’à la coquetterie. Beaucoup de plumets et de panaches, beaucoup de musique et de parades. Mais il n’y avait pas de lien entre les unités ; d’un corps à l’autre, tout différait : les uniformes, la méthode d’instruction, le nombre des effectifs.

Ce sont les enrôlemens volontaires qui ont permis à l’Angleterre de terminer heureusement la campagne contre les Boers.