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VISITES AU FRONT.

fenêtres de l’Aigle-d’Or, nous pouvions voir les préparatifs d’une grande table pour le dîner de midi. — Tableau heureux et familial, à la manière de Hansi, dans le cadre traditionnel d’un dimanche alsacien.

Nous achetâmes des provisions à l’Aigle-d’Or et partîmes à travers les montagnes dans la direction de Thann. À cette époque, les Vosges sont dans toute la beauté de leur court été, toute la forêt sillonnée de cours d’eau est imprégnée d’une fraîcheur embaumée. Laissant la voiture cachée derrière un rideau d’arbres, nous déjeunâmes paisiblement au soleil sur une pente parfumée de thym. En face de nous, s’élevait une colline en pain de sucre, couverte de forêts. Cette colline était l’Hartmannswillerkopf, que les deux armées se sont si longtemps disputée et où les Français se sont victorieusement établis. Tout autour de nous, d’autres collines garnies de canons allemands, surveillant la vallée de Thann.

Thann est tout au fond de cette vallée rétrécie entre des hauteurs. Une jolie vieille ville avec cet air de prospérité solide qui frappe l’imagination dans un pays en pleine tourmente. En suivant la grande rue, nous sentîmes de nouveau peser sur nous la tristesse de la guerre : la lumière de cette belle journée d’été en paraissait obscurcie ; un frisson nous glaçait, malgré la douce chaleur du soleil. Thann est toujours sous le feu des batteries allemandes ; les persiennes sont fermées à toutes les fenêtres et les rues sont désertes. Deux ou trois maisons sur la place de la Cathédrale ont été éventrées ; mais la cathédrale, ciselée comme un tabernacle, la cathédrale qui est l’orgueil de la ville est à peu près intacte. Quand nous rentrâmes, on chantait les vêpres : de rares fidèles, presque tous en deuil, étaient agenouillés dans la nef.

Quel contraste avec l’aspect de Masevaux dont l’air de fête nous avait charmés et que nous avions laissé à si peu de kilomètres derrière nous ! Mais, en dépit de ses rues désertes, Thann n’est pas une ville abandonnée : on y sent une vie énergique, toute prête à reprendre son cours, dès qu’on aura fait taire les canons allemands. L’administration française, en accord parfait avec la population, veille sur la reprise de l’activité. Beaucoup d’habitans cachés derrière leurs persiennes fermées : ils descendront dans leurs caves, au premier obus ; les écoles, transportées dans un village voisin, comptent plus