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littérature anglaise, estiment suffisante cette objection à la thèse des Baconiens.

Celle-ci a du moins contribué à préciser les rapports entre l’œuvre shakspearienne et l’esprit de l’époque. Pour établir que les pièces sont de François Bacon, lord Verulam, vicomte de Saint-Albans, chancelier d’Angleterre, on y a plus minutieusement cherché et relevé tout ce qui pouvait déceler la main du savant, du philosophe, du jurisconsulte et de l’homme d’Etat, de celui qui fut vraiment une lumière de son temps et une des meilleures têtes de tous les temps, témoin clairvoyant et agent zélé de cette Renaissance anglaise que résume et achève le nom de Shakspeare. Ce nom ne saurait avoir appartenu à un homme médiocre, à un bourgeois vulgaire de petite ville, à un comédien obscur. A côté des Baconiens, il s’est formé une opinion intermédiaire, qui se rallie à la partie négative de leur système, sans en accepter les conditions positives. Recrutée surtout parmi des légistes, dont l’attitude reste ici celle du scepticisme, — « the legal sceptics, » — elle est représentée surtout par le juge Webb (Le Mystère de William Shakspeare), lord Penzance (La Controverse Bacon-Shakspeare), Mr. G. G. Greenwood (La Question Shakspeare posée à nouveau). Les critiques, mis en défiance par les absurdités évidentes de l’hérésie baconienne, admettent seulement que William Shakspeare, de Stratford-sur-Avon, tel que nous le connaissons, ne peut pas être l’auteur de l’œuvre merveilleuse qu’on lui attribue. Et ils n’affirment rien de plus. C’est ouvrir la voie à des hypothèses nouvelles.


III

Il vient de s’en présenter une, dont M. Célestin Demblon [1] est le champion. Il l’a exposée dans deux volumes touffus, confus,

  1. M. Demblon signale, sans préciser autrement, l’opuscule d’un Allemand M. Peter Alvor, qui aurait traité avant lui, et le premier, la thèse Rutland-Shakspeare. Il n’en indique même pas le titre et n’en dit rien, sinon que M. Alvor partage l’œuvre shakspearienne entre Rutland et Southampton. Sir Sidney Lee, dans une note (p. 651) de l’ouvrage que nous citons plus loin, mentionne un autre livre, sensiblement antérieur aussi aux travaux de M. Demblon : Der wahre Shakspeare (Munich, 1907), par Karl Bleibtreu. Nous n’avons pu, dans les circonstances présentes, nous procurer ni. l’un ni l’autre de ces écrits.