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le premier Henry IV a forment un panorama de plus en plus remarquable des revers, puis du triomphe de la Maison de Lancastre, à qui vont les sympathies du poète. » Le personnage de Jules César est une transposition masculine de la reine Elisabeth vieillie et superstitieuse, et la tragédie à laquelle il donne son nom une peinture des préparatifs de la conjuration d’Essex, Macbeth, comme nous l’avons dit, est un compliment à Jacques Ier, Coriolan une œuvre d’inspiration aristocratique où se prolonge l’écho des déceptions qui accablèrent les amis d’Essex quand Londres, naguère encore si enthousiaste au départ du jeune général, refusa d’entendre leur appel. La pièce est toute pleine d’allusions à l’inconstance des foules, et l’on y sent enfin que l’entourage du héros voulut le retenir sur la pente fatale. Antoine et Cléopâtre, c’est encore, sous les noms fournis par Plutarque, ce que l’auteur a vu à la Cour d’Angleterre : Antoine laisse assez clairement reconnaître le personnage d’Essex, et Cléopâtre, plus âgée que lui, Cléopâtre « le vieux serpent du Nil, » c’est Elisabeth ; Octave, ami d’abord, — parent même, — puis ennemi d’Antoine, peu courageux, froid, persévérant, dissimulé, manœuvrant en secret pour ruiner la fortune du jeune général victorieux, M. Demblon lui trouve une ressemblance étroite, qu’il ne précise pas, avec Robert Cecil, fils du tout-puissant lord Burghley, ministre de la Reine.

Ce serait un travail infini et stérile que de vouloir procéder dans le détail à un examen critique de ces assimilations. Elles sont nécessairement fort arbitraires ; quelques-unes peuvent présenter de la vraisemblance, nous en trouverions d’inacceptables, et le cas de la plupart resterait douteux. Mais qu’importe ? Si elles révèlent, chez Shakspeare, une merveilleuse intuition de son temps, qui est le temps de Rutland, il ne s’ensuit en rien que Shakspeare doive être Rutland lui-même ; et nous en venons maintenant au fait sur lequel se fonde M. Demblon pour affirmer cette identité.

Car il invoque un fait, d’où est sortie sa « découverte » et qui a été, comme il dit, « le trait de lumière attendu depuis si longtemps. » Il ajoute même, comme pour nous mieux faire entendre la grandeur de l’événement : « c’est le fiat lux de la Genèse ! » Voici : dans les archives du château de Belvoir, récemment publiées par une Commission des manuscrits historiques (que M. Demblon appelle la Commission historique des