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à coups de zigzags, en se dandinant, comme une grosse oie gavée pour la Saint-Michel. A une certaine distance, il était impossible de dire s’il montrait le travers, l’avant ou l’arrière, tant il paraissait être complètement rond. Ses murailles soutenaient, à peu de distance de l’eau, un pont au-dessus duquel rien ne paraissait qu’une très grosse tourelle, d’où sortaient les longues volées de deux énormes canons. Au centre de ce pont se dressait un mât tripode, portant a son extrémité une espèce de boîte oblongue.

« Notre premier étonnement fut suivi d’un autre, lorsque les hommes de son équipage se disposèrent à se baigner. Il semblait qu’ils avaient tous la faculté de marcher sur l’eau. Ayant descendu l’échelle de coupée, au lieu de s’enfoncer dans la mer, ils se mirent à marcher l’un derrière l’autre le long de leur bâtiment et, après s’être rangés coude à coude, ils piquèrent un plongeon général, pour reparaître ensuite à la surface.

« Nous allâmes en canot nous rendre compte de ce phénomène bizarre, et nous constatâmes que, juste au-dessous de l’eau, les murailles du navire se bombent légèrement sur une largeur d’environ trois mètres, pour se recourber ensuite vers la quille, en constituant ainsi une plate-forme extérieure à peine mouillée par l’eau de la mer.

« Là gît le secret et le mystère de ces bâtimens. Dans ce renflement, l’homme a concentré son ingéniosité pour vaincre le sous-marin. Si une torpille frappe la muraille, elle explosera au milieu d’une variété de substances que je ne dois pas faire connaître, mais qui protégeront la coque contre toute avarie grave.

« Ces gros monitors portent deux canons de 356 millimètres et quelques pièces pour tirer contre les engins aériens.

« La première fois qu’un de ces monitors parut à l’entrée des Dardanelles, son aspect surprit profondément les Turcs. Plus tard, trois autres de ces grands monitors arrivèrent, ce qui nous donnait huit canons de 356 millimètres pour bombarder les positions ennemies, sans compter un grand nombre de monitors plus petits, de toutes formes et de toutes dimensions. »

Ainsi se dessinent les premiers linéamens d’un matériel nouveau caractérisé par sa protection contre la torpille et par sa puissance offensive contre la terre : gros canons, faibles tirans d’eau.