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AVEC L’ARMÉE D’ORIENT

NOTES D’UNE INFIRMIÈRE
À MOUDROS


Moudros, août 1915.

Un torpilleur ! Plus loin, tout en arrière. Un torpilleur que l’on ne soupçonnait pas dans ces parages. Il vole au-dessus des vagues, se précipite, pendant que l’embrun giclant de toutes parts le dissimule à moitié. Remous d’écume, et puis manœuvre pleine de hardiesse, voire d’élégance. Collé au flanc du navire-hôpital, il le harcèle de demandes : « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? »

Et maintenant, c’est quelque chose d’anormal, de jamais vu, d’insoupçonné. D’innombrables bateaux qui se sont lassés, agglomérés, bien à l’abri. Petits et grands, ils s’enchevêtrent, entremêlant leurs mâts. Cheminées caduques, cheminées modernes. Monitors et cuirassés, torpilleurs ultra-modernes, cargo-boats suant et jurant aux côtés des blanches coques des bateaux-hôpitaux, sous-marins minuscules frôlant quelque gigantesque steamer, barques de pêche remontant aux douces caravelles, caïques grecs, remorqueurs poussifs, vedettes et chalutiers, tous immobiles… comme pétrifiés.

C’est l’heure du crépuscule, l’heure précieuse entre toutes, l’heure de la prière et du recueillement, l’heure tranquille,